Print this page

Lobbying : l’Europe (encore) loin du compte

L’ONG Transparency International qui s’est donnée pour mission de lutter contre la corruption a rendu un rapport accusateur sur les pratiques du lobbying dans 19 pays européens et au sein des institutions européennes.

 

“Ace jour, aucun pays ou institution de l’UE ne s’est doté d’un cadre satisfaisant en matière de traçabilité de la décision publique, d’intégrité des échanges et d’équité d’accès au processus de décision publique » souligne d’emblée l’ONG qui vient de publier un nouveau rapport intitulé « Lobbying en Europe : influence cachée, accès privilégié ». Ce rapport élaboré à l’échelle européenne avec l’appui de la Commission européenne constitue la première évaluation exhaustive des pratiques et tentatives d’encadrement du lobbying dans 19 pays européens ainsi que dans les trois principales institutions de l’Union européenne (Commission, Parlement, Conseil). Et pour Transparency International, les résultats de cette étude sont « préoccupants » et indiquent que les efforts entrepris à ce jour par les gouvernements comme par les représentants d’intérêts dans le but de promouvoir des règles de lobbying responsable et transparent « manquent de cohérence et d’efficacité ». « Les stratégies d’influence demeurent en grande partie cachées et informelles, de sérieux conflits d’intérêts existent et certains groupes jouissent d’un accès privilégié aux décideurs. Les risques d’influence excessive restent élevés et se soldent ponctuellement par de graves conséquences pour l’économie, l’environnement, la cohésion sociale, la sécurité publique et les droits de l’Homme. Il est urgent que les autorités publiques, mais aussi l’ensemble des acteurs cherchant à influencer la décision publique intensifient leurs efforts » insiste fermement l’ONG qui estime au final que « les pratiques de lobbying équitables et opaques constituent l’un des principaux risques de corruption pesant sur l’Europe ».

Des règles inadaptées

Pour établir son classement, le rapport s’est basé sur trois principes interdépendants : la transparence et la possibilité de contrôle par le public des interactions entre lobbyistes et responsables publics (traçabilité), l’existence de règles claires et contraignantes pour la conduite éthique des lobbyistes et des responsables publics (intégrité) et l’ouverture de la décision publique à de multiples voix représentant un large spectre d’intérêts (équité d’accès). Dans leur ensemble, les pays évalués obtiennent une moyenne de 31 sur 100 au regard des principes de traçabilité, d’intégrité et d’équité d'accès aux processus de décision publique explique l’étude. Sur ces 19 pays, seuls 7 se sont dotés d’un encadrement spécifique au lobbying (1), « mais même dans ces pays, ces règles sont soit inadaptées, soit insuffisamment mises en oeuvre ». Question classement, la Slovénie arrive première avec une note de 55 sur 100. L’ONG explique cette bonne place par l’adoption par la Slovénie en 2010 d’une loi europe Par Dominique Brière L’ONG Transparency International qui s’est donnée pour mission de lutter contre la corruption a rendu un rapport accusateur sur les pratiques du lobbying dans 19 pays européens et au sein des institutions européennes

sur le lobbying qui prévoit des règles tant pour les lobbyistes que pour les décideurs publics. « Dans la pratique cependant, cette législation souffre de lacunes et de failles juridiques » regrette Transparency. Chypre et la Hongrie ferment la marche avec 14 sur 100. Avec 27 sur 100, la France se situe quant à elle en dessous de la moyenne européenne. « L’encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts est quasiment inexistant dans notre pays, à l’exception notable de l’Assemblée nationale » poursuit l’étude.

Les institutions de l’UE obtiennent une note moyenne de 36 sur cent, mais avec des différences significatives selon les institutions. Alors que la Commission obtient la seconde meilleure note (53 sur 100), le Conseil arrive dans les trois derniers (19 sur 100). Le Parlement obtient une note de 37 sur cent.

Plus globalement, le rapport montre que les citoyens et les groupes d’intérêts disposent de moyens limités pour identifier les acteurs qui influencent la décision publique, sur quel sujet et de quelle manière et accorde une note moyenne de 26% pour la traçabilité. En termes d’intégrité, la note est de 33%, pour autant « ni les lobbyistes ni les responsables publics ne sont soumis à des règles éthiques claires et efficaces en matière de lobbying » déplore Transparency. Enfin, en matière d’équité d’accès (33%), la participation du public n’est pas garantie correctement et certains groupes jouissent d’un accès privilégié à la décision publique constate l’ONG. « Le risque d’influence excessive sur la décision publique, associé à une réglementation et un contrôle inadaptés, à de graves répercussions sur l’intérêt général comme sur la réputation de toutes les parties » conclut l’organisation.

Traçabilité, intégrité et équité d’accès, le triptyque vertueux

Pour être efficace, un encadrement du lobbying doit avoir à coeur d’inscrire en son sein les trois principes de traçabilité, d’intégrité et d’équité d’accès explique Transparency qui émet pour cela quelques recommandations. Tous les pays et institutions de l’UE doivent donc commencer par inscrire dans la loi ces trois principes et donner une définition plus large du lobbying. Ils doivent ensuite établir un registre obligatoire des représentants d’intérêts comprenant des informations détaillées sur les clients représentés en cas de représentation déléguée à un tiers, les personnes visées par les actions d’influence, les thèmes abordés et les ressources globales consacrées. Transparency demande également la mise en place d’une « empreinte législative » à l’aide des outils numériques contemporains, permettant de suivre les actions qui influencent les processus de prise de décision (publication de la liste des personnes et organisations auditionnées ou consultées, de l’agenda des rencontres entre décideurs publics et représentants d’intérêts et des contributions reçues). Enfin, elle recommande, la mise en place ou le renforcement du respect du « délai de carence » avant lequel un agent public ou un élu ne peut exercer une activité de lobbying susceptible de créer un conflit d’intérêts. Quant aux personnes ou organisations souhaitant participer à un débat et cherchant à influencer une décision publique, celles-ci doivent inscrire leurs engagements et pratiques de lobbying dans une politique de responsabilité sociétale (RSO) et publier de manière proactive des informations sur ses activités de lobbying, incluant les documents et argumentaires adressés pour participer au débat public, ainsi que les budgets consacrés aux actions d’influence de la décision publique. Ce n’est qu’à ce prix que le lobbying peut retrouver toute sa légitimité, car contrairement à ce que pourrait laisser penser ce rapport l’ONG n’est pas hostile à ces pratiques, à condition qu’elles soient bien encadrées.

 

 

2397 K2_VIEWS