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Affaire du lait contaminé : l’Assemblée exige plus de contrôle

Après le scandale de la contamination à la salmonelle de 36 nourrissons par du lait infantile Lactalia fin 2017, une commission d’enquête parlementaire avait été créée. Placée sous la présidence de Christian Hutin (NG, Nord) et avec pour rapporteur Grégory Besson-Moreau (LREM, Aube), la mission était chargée de tirer les enseignements de cette affaire et d’étudier « les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d’information ». Rendu mi-juillet, son rapport fait 41 propositions pour corriger « les failles du système » et éviter que ne se reproduise un nouveau problème sanitaire.

Après avoir auditionné les acteurs de la grande distribution, l’administration, le monde agricole mais également plusieurs ministres, la mission d’enquête a mis à jour l’ensemble des failles du système actuel de contrôle et d’information. Et personne n’est épargné. Chacun en prend pour son grade même si pour le rapporteur Grégory Besson-Moreau (LREM, Aube), « l’affaire Lactalis est d’abord l’exemple d’un industriel qui a failli à ses obligations et a exposé les consommateurs à un risque sanitaire majeur ».

Fin 2017, 36 nourrissons avaient été intoxiqués à la salmonelle après avoir consommé du lait infantile des marques Picot et Milumel produit dans l’usine Lactalis de Craon en Mayenne. Les cafouillages autour du retrait des produits et de la communication de Lactalis qui avaient suivi avaient eu pour conséquences l’ouverture d’une enquête judiciaire. Une Commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée avait également été créée. Son diagnostic est sévère et ses préconisations précises.

Alors que Lactalis n’a eu de cesse d’expliquer notamment lors de l’audition de son PDG Emmanuel Besnier par les députés que ses produits faisaient l’objet à la fois d’autocontrôles et de contrôles par des laboratoires externes, Christian Hutin (NG, Nord), le président de la Commission d’enquête estimait pour sa part que « l’autocontrôle n’est pas suffisant ». « Il faut contrôler les contrôleurs et contrôler les contrôlés » ajoutait-il aux micros d’Europe 1, mi-juillet. Il s’étonnait notamment que dans l’affaire qui nous occupe, le contrôleur en question soit un laboratoire « dont 90 % de son chiffre d’affaires est lié à une seule entreprise » ; « Cela peut poser un problème ».

Le rapport milite donc pour une reprise en main des contrôles sanitaires par l’Etat avec « un rapprochement des directions générales chargées de la sécurité sanitaires des aliments ». Il faut mettre fin à « la guerre des polices » explique Christian Hutin qui préconise la création d’une police de sécurité alimentaire placée sous la tutelle unique de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) qui dépend du Ministère de l’Agriculture. Assez de cette « armée mexicaine » avec « trois ministères : la santé, Bercy et l’Agriculture, ce n’est plus possible » s’insurge le président de la Commission, « il faut que ce soit très clair : un numéro unique, un site unique, une décision unique ». Auditionné par la Commission, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire s’était dit « opposé » à l’idée d’un rassemblement des services préférant une répartition des contrôles entre la DGAL et la répressions des fraudes (DGCCRF), soit entre l’Agriculture et Bercy, « qui ont des responsabilités très différentes ». Il serait également envisager, comme l’a laissé entendre le président, que l’on « touche au portefeuille » des industriels qui « ne respecteront pas une forme de déontologie et de rigueur sur les autocontrôles » qui évoque aussi « une forme de responsabilité pénale ». Durcissement donc des sanctions pénales et financières « pour ceux qui ne respectent pas la santé de nos concitoyens » insiste le rapporteur qui veut encore que l’on rende « obligatoire l’accréditation de l’ensemble des laboratoires d’analyse d’autocontrôle ».

Une redevance sanitaire payée par les industriels

Le système de contrôle ainsi révisé permettrait la création de quelques 800 emplois dont le financement pourrait être assuré par une future redevance sanitaire payée par les industriels. Une idée qui existe déjà dans une directive européenne encore non appliquée en France. Reste que le Ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert s’est montré sur le sujet, plus que réservé : « tout ce qui va concourir à améliorer la sécurité est bon. Il faut regarder cela avec attention et discuter avec les industriels » déclarait-il sur France Info cet été.

L’autre point sur lequel les parlementaires ont voulu porter le fer est celui concernant les procédures de retrait des produits en vente et de rappel de ceux déjà vendus « plus que défaillantes » dans l’affaire Lactalis aussi bien en pharmacie, en grande distribution ou dans les crèches. Et le rapporteur de rappeler que « chez Leclerc, près d’un millier de boîtes de lait, qui auraient dû être retirées sont restées en rayon. Et celles qui ont été rapportées ont été remises en vente en partie ». Il ne peut plus en être ainsi s’époumonent les députés de la Commission qui plaident pour la mise en place de « crash tests » réguliers afin de tester la réactivité des industriels et de la distribution. Ils proposent encore le remplacement des codes-barres par des QR code pour faciliter l’interception d’un produit à la caisse.

Le recours aux données bancaires envisagé

La Commission propose aussi une meilleure formation des personnels aux procédures de rappel-retrait. Enfin, comme l’explique Grégory Besson-Moreau, « un référent sanitaire devra être désigné au sein de chaque magasin et toujours présent sur les lieux » pour s’assurer de la bonne application de ces procédures. Ceux qui ne respecteront pas ces protocoles pourront alors être sanctionnés.

Enfin, le rapport préconise la mise en place d’un site Internet de l’Etat sur lequel producteurs et distributeurs auraient l’obligation de déposer toutes les informations utiles aux consommateurs. Une application mobile de la DGCCRF est aussi à l’étude, elle permettrait à des lanceurs d’alerte de signaler « l’ensemble des produits suspects qu’ils auront pu voir aux cours de leurs actes de consommation ».

Parallèlement à ce rapport, le Conseil national de la consommation (CNC) qui regroupe les associations de consommateurs, organisations professionnelles et services de la concurrence a remis à Bruno Le Maire son propre rapport dans lequel il aborde la question du recours aux données bancaires des clients ayant acheté un produit faisant l’objet d’un rappel et/ou d’un retrait. Pour le Ministre de l’Economie, cela « pourrait être un instrument extraordinairement efficace » mais a-t-il ajouté, puisqu’« il y a une sensibilité parfaitement légitime sur la protection du secret bancaire, nous allons poursuivre l’instruction de cette proposition, voire quelles limites nous devons y mettre ».

Une proposition de loi reprenant l’ensemble de ces mesures devrait être déposée courant octobre après de nouvelles auditions. 

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