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Intelligence Artificielle : un code éthique pour encadrer son utilisation

Par le Docteur Aurélie Jean, Ph.D. Scientifique numéricienne et entrepreneuse, et Grégory Renard, Pionnier de l’Intelligence Artificielle et entrepreneur social

Aujourd’hui, notre génération vit une expérience extraordinaire et sans précédent digne de la période de la renaissance en pleine Florence. Il ne se passe pas une semaine sans la parution dans les médias d’un gros titre qui annonce qu’une start-up ou une plus grande entreprise du numérique a résolu un problème majeur industriel ou a fait une découverte importante comme la détection de mélanome par la simple caméra d’un téléphone, l’automatisation du support client par machines conversationnelles, le déploiement de voitures autonomes, et tant d’autres choses. Le dénominateur commun de tous ces développements majeurs n’est autre que l’Intelligence Artificielle !

Cette accélération exponentielle de l’évolution des technologies et plus particulièrement de l’Intelligence Artificielle, apporte son lot de technologies disruptives comme celles vécues dans le passé. Toutes les évolutions technologies du passé telles que la machine à vapeur, l’électricité ou encore la voiture se sont généralement réalisées sur deux ou trois générations avec une capacité pour notre civilisation de l’intégrer à son rythme dans ses usages de tous les jours. Plus personne aujourd’hui ne pourrait concevoir son quotidien sans électricité, et pourtant, ces technologies ont dû attendre que les femmes et les hommes s’y habituent. À l’époque de leur introduction dans la société et auprès des individus, ces évolutions technologiques ont été à l’origine de nombreuses contestations et de nombreuses peurs. En effet, l’arrivée de l’électricité a fait couler beaucoup d’encre sur ses dangers possibles comme les incendies ou les électrocutions. L’introduction de technologies telles que la poudre à canon ou encore l’énergie nucléaire a également été à l’origine de nombreux débats. De ces discussions passées souvent agitées dégagent l’idée selon laquelle, dans la majorité des cas, les risques les plus importants ne viendraient pas de la nature même de ces technologies mais bien de ceux qui les mettent en oeuvre.

Nous sommes aujourd’hui face à une nouvelle génération de technologies disruptives qui sont liées à l’industrialisation des tâches cognitives. La particularité de ces technologies se situe entre autres, dans les délais de disruption courts en comparaison à ceux des technologies précédentes. Nous sommes aujourd’hui sur des temps de disruption de 25 ans, inférieurs à la durée d’une génération. Les pays doivent prendre en considération de tels changements profonds en lien avec l’accélération exponentielle des évolutions technologiques afin d’assurer des retombées économiques pour tous et de garantir une société technologique inclusive. Selon une étude récente de la société Element.AI du Canada (1), il y aurait aujourd’hui dans le monde 22 000 experts docteurs en Intelligence Artificielle. Ces 22 000 docteurs sont peu nombreux face aux besoins croissants d’experts en numérique qui sont liés à l’utilisation toujours plus importante des technologies numériques et ce, dans de nombreux domaines : l’ingénierie, la médecine, le journalisme, la distribution, le management, l’économie, la finance, l’éducation voire l’art. Face à cette révolution numérique en pleine expansion une question se pose : comment assurer une conception jugée juste et bonne de ces outils numériques par un nombre limité d’individus qui recréent, sans en prendre systématiquement conscience, le tissu social et économique de nos pays ? Les scandales récents dans lesquels des individus et des organisations auraient utilisé à mauvais escient les données personnelles d’utilisateurs justifient l’utilisation d’un socle commun de principes déontologiques chez les états, les organisations institutionnelles et privées, les scientifiques et plus généralement tous les individus naviguant dans le milieu de l’Intelligence Artificielle. Les solutions non légiférées peuvent représenter des réponses alternatives qui accompagnent les régulations, et qui sont des déclencheurs de consciences individuelles. Le serment dans sa forme la plus ancienne décrit un ensemble de règles morales et de principe éthiques gouvernant une pratique, ou encore est un accord moral entre plusieurs parties. Le plus connu d’entre eux est sûrement le serment d’Hippocrate, texte fondateur de la déontologie médicale en Occident, qui aurait été rédigé selon les écrits du corpus hippocratique du médecin grec Hippocrate de Cos considéré encore aujourd’hui comme le père de la médecine.

La première version du serment de Holberton-Turing ici proposé regroupe des principes éthiques d’exercice de l’Intelligence Artificielle, dont le nom évoque deux grands noms de l’informatique du 20ème siècle, Betty Holberton et Alan Turing. Le serment Holberton-Turing s’articule autour de trois grands principes : le respect de la vie et des sciences, l’inclusion, et la transmission des connaissances. Les principes de ce serment pourront alimenter les discussions autour de sujets tels que le respect des données personnelles, le développement d’armes autonomes, la perte d’emplois par dizaines de millions, ou encore la création de discriminations technologiques. Le serment Holberton-Turing est destiné à évoluer dans le temps en fonction des contributions de chaque acteur de l’échiquier technologique et social. Enfin cette première version du serment de Holberton-Turing a été conçu pour être compris par tous les experts en numérique mais aussi par les citoyens qui verront dans de ce texte une base de réflexion pour alimenter les débats publics. 

Le serment holberton-turing
Au moment d’être admis(e) à exercer l’Intelligence Artificielle sous toutes ses formes présentes et futures, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.
Humanité et Éthique :
• Je préserverai l’humain et je m’attacherai à rétablir, à préserver ou à promouvoir l’équité et l’éthique dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ;
• Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination sur l’âge, la condition physique, les affiliations politiques, les croyances religieuses, les origines sociales, les origines ethniques ou encore l’orientation sexuelle ;
• Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ;
Data Science, Art de l’Intelligence Artificielle, Vie Privée & Data Personnelle :
• Je respecterai les avancées et progrès scientifiques durement acquis par les scientifiques et les ingénieurs qui m’ont précédé et partagerai les connaissances que je possède avec ceux qui me suivront ;
• Je me souviendrai qu’il y a un art à l’Intelligence Artificielle, aussi bien que pour la Science, et que les préoccupations humaines l’emportent sur les préoccupations technologiques ;
• Je respecterai la vie privée des utilisateurs et je veillerai à ce que leurs données personnelles ne soient pas divulguées ;
• Je me souviendrai que je ne manipule pas que des données, des zéros et des uns, mais des êtres humains dont les interactions avec mon logiciel d’Intelligence Artificielle peuvent affecter la liberté, la famille ainsi que la stabilité économique.
• Je respecterai les secrets qui me sont confiés ;
Travail Quotidien & Étiquette :
• J’exercerai ma profession avec conscience et dignité ;
• Je respecterai et transmettrai l’honneur et les traditions nobles de la profession de la science des données et d’Intelligence Artificielle ;
• Je donnerai à mes professeurs, collègues et étudiants le respect et la gratitude qui leur sont dûs ;
• Je partagerai mes connaissances pour le bénéfice du plus grand nombre et l’avancement de la Science des Données et de l’Intelligence Artificielle ;
• J’examinerai l’impact de mon travail sur l’équité à la fois dans la perpétuation des biais historiques, qui peuvent être causés par l’extrapolation aveugle des données passées vers les prédictions futures, et dans la création de nouvelles conditions qui augmentent l’inégalité économique ou toute autre forme d’inégalité.
• Je promets de créer des solutions logicielles intégrant de l’Intelligence Artificielle, privilégiant la collaboration avec les humains pour le plus grand bien, plutôt que d’usurper le rôle de l’humain et de le supplanter.
• Je fais ces promesses solennellement, librement et sur mon honneur.
Le Serment Holberton-Turing a ainsi été initié dans l’objectif de fédérer et mettre en conscience tout professionnel du domaine de l’Intelligence Artificielle, au niveau mondial, autour de valeurs morales et éthiques communes afin de les inviter à utiliser leurs compétences dans le respect de l’humain en évitant toute menace à la vie.
En tant que professionnels de l’Intelligence Artificielle, nous avons le devoir, en étroite collaboration avec les citoyens, les entreprises et les gouvernements, de rendre celle-ci la plus sûre et inclusive sans distinction d’ethnicité, de sexe, de culture, de langue, d’orientation sexuelle ou d’âge.
Le Serment Holberton-Turing est le vôtre, il est fait pour évoluer dans le temps à partir de vos contributions mutuelles, à partir de contributions d’experts du domaine mais aussi de philosophes, d’économistes, de dirigeants et de tout citoyen en général.
Envoyez-nous vos propositions d’évolutions à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Voici le lien vers le site du Serment : http://www.holbertonturingoath.org/
(1) http://www.bloomberg.com/news/articles/2018-02-07/just-how-shallow-is-the-artificial-intelligence-talent-pool