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Fin de vie : les réponses de la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs à une vraie question

Par Anne de La Tour, présidente de la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP)

Vient un moment où le médecin ne peut plus guérir un malade. Il doit alors le soulager et cette obligation éthique et médicale est plus forte que celle de prolonger sa vie à tout prix.

Chaque année 580 000 personnes meurent en France. La plupart de ces décès et de ces arrêts de traitement ne soulèvent pas de difficultés.

L’approche Française des traitements des patients en phase terminale

La France a engagé depuis 1999 une politique de soins palliatifs. Quatre plans ont été lancés depuis 1999. Le denier s’achève en 2018. Deux lois d’initiative parlementaire, celle du 22 avril 2005 dite « loi Leonetti » et celle du 2 février 2016 dite « loi Claeys-Leonetti » ont été votées par le Parlement. Elles ont été précédées respectivement de 19 mois et de 32 mois de réflexion. Le premier texte a été adopté à l’unanimité et le second à la quasi-unanimité.

Cette législation consacre trois principes applicables aux patients en phase terminale : elle proscrit l’obstination déraisonnable, renforce les droits des patients et pose le primat de l’apaisement de la souffrance. L’obstination déraisonnable est établie en présence de trois critères alternatifs : l’inutilité, la disproportion du traitement ou le seul maintien artificiel de la vie.

Les droits des patients se traduisent par la désignation possible d’une personne de confiance par le patient et par la portée de ses directives anticipées. Celles-ci s’imposent au médecin sauf en cas d’urgence vitale, d’un caractère manifestement inapproprié ou d’une rédaction non conforme à la situation médicale du patient. En leur absence, le médecin recueille le témoignage de la personne de confiance ou à défaut tout autre témoignage de la famille ou des proches, les volontés du malade pouvant avoir été exprimées oralement.

La loi reconnaît un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès dans certains cas précis. Pour les patients conscients, elle s’applique lorsque le pronostic vital est engagé à court terme (moins de quelques jours) et qu’il existe une souffrance réfractaire aux traitements. Elle s’applique également lors de l’interruption potentiellement douloureuse d’un traitement de maintien en vie à la demande du patient pour éviter toute souffrance potentielle. Pour un malade inconscient, la sédation associée à une analgésie est appliquée lors de l’arrêt d’un traitement de suppléance vitale lorsqu’une décision collégiale a considéré qu’il s’agissait d’une obstination déraisonnable.

Une mauvaise anticipation des situations de fin de vie par les malades et les familles, une ignorance des droits ouverts par les directives anticipées (1), un inégal accès aux soins palliatifs, une insuffisante formation des soignants pour gérer des situations complexes, la persistance de pratiques d’obstination déraisonnable expliquent la dénonciation régulière du « mal mourir ». Faut-il tourner pour autant le dos à ces deux lois en légalisant l’euthanasie et le suicide assisté ?

Les postulats contestables de la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté

L’euthanasie et le suicide assisté seraient l’expression de la maîtrise ultime de notre destin. Mais peut-on parler de liberté lorsque le choix qui s’offre à une personne est de mettre fin à sa vie ? Que signifie cette maîtrise de sa vie jusqu’à la mort, lorsque la réalisation de cette décision incombe à un tiers ? Comment tenir compte du risque d’altération de la liberté de jugement ou d’emprise chez une personne vulnérable ?

Il y a également un paradoxe à voir les partisans de l’euthanasie dénoncer la confiscation médicale de la liberté de l’individu de choisir sa mort, alors qu’ils s’en remettent au médecin en charge du patient.

Les demandes d’euthanasie, très rares en fin de vie et bien souvent ambivalentes, sont toujours un appel à l’aide. Quand une équipe formée soulage le malade exprimant cette angoisse et l’accompagne, cette demande disparaît.

Il serait aussi paradoxal de légaliser le suicide assisté et de mener dans le même temps une politique de prévention des 8 880 suicides relevés chaque année dans notre pays.

Les leçons de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté dans les pays concernés

Ces pratiques ne sont pas transparentes. En Belgique, une étude montre qu’un tiers des personnes décédées après une injection létale n’ont pas demandé à être euthanasiées (étude Soc Sci Med. 2012). La Commission de contrôle Belge avoue qu’« elle n’a pas la possibilité d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasies déclarées par rapport au nombre d’euthanasies réellement pratiquées ». Les euthanasies clandestines rapportées au nombre annuel de décès seraient en Belgique beaucoup plus importantes qu’en France actuellement et la légalisation de l’euthanasie telle que pratiquée dans les Flandres belges pourrait aboutir à euthanasier chaque année 10 000 personnes en France.

L’euthanasie et le suicide assisté s’appliquent à des patients qui sont loin d’être toujours en fin de vie. 30 % des suicides assistés en Suisse concernent des personnes souffrant d’affections rhumatismales et de syndromes douloureux. Lorsque l’interdit fondateur de tuer n’existe plus, le curseur se déplace.

Le contrôle de ces procédures dans ces pays consiste à valider a posteriori l’acte accompli. Entre 2002 et 2016, 14.573 euthanasies ont été effectuées en Belgique. Un seul cas a été transmis au parquet. Comment peut-on croire que sur près de 15 000 personnes, la réglementation a été toujours strictement appliquée ?

Ces pratiques ne sont pas neutres non plus pour ceux qui les appliquent. Aider au suicide d’un parent c’est en faire porter le poids à la famille. 20 % des personnes ayant prodigué le suicide assisté en Suisse souffrent de troubles post traumatiques. L’euthanasie est également difficile pour les médecins à qui elle est demandée.

Les soins palliatifs sont incompatibles avec l’euthanasie et le suicide assisté

Ces deux approches obéissent à deux philosophies radicalement différentes. Les soins palliatifs préviennent et soulagent les souffrances. L’euthanasie vise à hâter la mort intentionnellement. Les soins palliatifs sont des traitements, l’euthanasie est un geste létal proscrit par le code de déontologie médicale et le serment d’Hippocrate. Tuer n’est pas un soin et ne requiert d’ailleurs aucune compétence médicale. La légalisation de ces pratiques repose sur une éthique d’autonomie. Les soins palliatifs reposent sur une éthique de vulnérabilité et de solidarité collective.

Poser les vraies questions

Cette opposition à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne clôt pas le débat.

La loi du 2 février 2016 continue à être largement ignorée de l’opinion publique. D’après un sondage paru le 22 novembre 2016, 62 % des Français ne connaissent pas les nouvelles directives anticipées et bien plus encore ne connaissent pas les soins palliatifs. Un effort considérable d’information est encore à mener.

Le deuxième axe de réflexion porte sur la formation des professionnels de santé. La culture palliative ne peut se diffuser que si un effort de formation est entrepris dans les universités. Seulement cinq postes de professeur associé en soins palliatifs ont été créés. Au regard des besoins et de nos 47 facultés de médecine, ceci est notoirement insuffisant. Former les soignants à une écoute véritable du malade sur tout le territoire et dans tous les services s’impose. La diffusion de la culture palliative dans la formation modifiera les pratiques cliniques pour qu’elles ne soient pas exclusivement centrées sur le diagnostic et le curatif mais accordent la place qui revient à la prise en charge globale de la personne.

La troisième réflexion à laquelle ne peut échapper un débat sur la fin de vie est la dimension économique des soins. Les dépenses de santé représentent 12 % du PIB. La tarification à l’activité favorise une médecine technique au détriment des soins palliatifs et valorise les « sauveurs » plutôt que les « consolateurs ». Il faut favoriser la création d’indicateurs qualitatifs de soins pour que la médecine retrouve la noblesse et la modestie de sa vocation.

La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté remettrait en question la construction du soin sur laquelle reposent nos valeurs fondamentales, sans venir à bout de la problématique de la fin de vie. Voulons-nous une société qui nie la mort, ignore la complexité, prétend tout résoudre par la loi et considère que la vie se réduit à l’équilibre des libertés et des intérêts individuels ? 

En savoir plus : www.sfap.org

1. 11 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé des directives anticipées, Haute Autorité de Santé, 15 mars 2018