Print this page

“Je reste convaincu que l’Etat a fait preuve d’une légèreté coupable dans la vente d’Alstom”

Entretien avec Olivier Marleix, député (LR, Eure-et-Loir), Président de la Commission d’enquête

Quel bilan global tirez-vous de votre Commission d’enquête ?

Cette commission d’enquête a permis d’éclairer deux sujets importants et qui sont des sujets d’avenir. D’abord sur la procédure de contrôle des investissements étrangers en France. Au début de nos travaux, certains semblaient douter de la nécessité d’une telle procédure. Au terme de nos travaux chacun a bien compris que dans un monde ouvert au flux mondiaux de capitaux, l’Etat devait être doté d’un outil non capitalistique de contrôle dans les secteurs d’activité économiques qui participent de la souveraineté nationale. Je pense qu’il y a désormais, au sein de l’Assemblée nationale, un consensus fort sur ce point ; plus personne n’oppose attractivité de notre économie et protection de nos intérêts stratégiques. Plus concrètement, nous avons même fait avancer trois idées autour de ce sujet : premièrement que le champ du contrôle doit être étendu, notamment aux technologies de rupture. A titre personnel, je crois aussi que nous devons ajouter tout ce qui touche à la sécurité de nos approvisionnements alimentaires. Deuxièmement, l’idée s’est imposée que si ces procédures de contrôle doivent garantir le secret des affaires, elles ne peuvent plus se faire dans l’opacité totale. La « défense des intérêts nationaux » appelle qu’un minimum de comptes soient rendus par ceux qui ont la charge de les protéger. C’est donc l’idée d’un contrôle parlementaire. Enfin, troisième point, nous avons mis en évidence que les banques d’affaires jouent dans ces opérations de fusion-acquisition un rôle central. Puisqu’une fois encore c’est la défense des intérêts nationaux qui est en cause, leur intervention doit se faire en respectant les règles des représentants d’intérêt. Sur les deux premiers sujets, le gouvernement a d’ores et déjà pris des engagements très clairs. Sur le troisième, elle devrait pouvoir être mise en œuvre à droit constant.

Vous faites de la vente d’Alstom à GE un cas emblématique qui a révélé les « dysfonctionnements de l’Etat ». Pourquoi un tel jugement ?

Parce que c’est le constat qui s’impose au terme de ces six mois de travail. Le premier dysfonctionnement, c’est notre cécité face à l’extraterritorialité du droit américain. Alstom était sous le coup d’une procédure anticorruption à 780 Millions e d’amende. Sa trésorerie était d’1,2 Mde et elle se réduisait d’année en année. Or l’Etat n’a rien vu venir. On parle d’une entreprise qui permettait à la France d’être une puissance nucléaire autonome et l’Etat n’a rien vu venir ! si ce n’est pas un dysfonctionnement ! Vous avez eu un vice-président d’une filiale mondiale d’Alstom arrêté aux Etats-Unis et ça n’a interpellé personne… Après les 9 Mdse d’amende infligés à BNP Paribas, les 2 Mdse infligés à la Société générale, il est plus que temps que les pouvoirs publics prennent en compte l’impérialisme juridique américain.

L’autre dysfonctionnement réside dans la façon dont a été mise en œuvre la procédure d’autorisation des Investissements étrangers dans notre pays. La loi précise qu’elle est entre les mains du seul ministre de l’économie. Or nous avons démontré dans cette affaire que le ministre, Arnaud Montebourg en l’occurrence, avait été court-circuité par un collaborateur du Président de la République qui avait probablement donné sa bénédiction à cette vente bien longtemps avant qu’il n’en soit lui-même informé. Or ce n’est pas la même chose d’avoir deux ans pour trouver un plan B et d’avoir deux mois. En clair, cette vente a été autorisée, de fait si ce n’était encore en droit, sans prendre un instant en considération la dimension stratégique de cette entreprise, et la façon de protéger nos intérêts.

A demi-mot, dans votre rapport vous pointez du doigt Emmanuel Macron. Que lui reprochez-vous ? Dans le rachat d’Alstom, quels sont alors selon vous, son rôle et sa responsabilité ?

C’est ce que je viens de vous décrire. A l’été 2012, M. Macron a visiblement été informé par Bouygues (ou par sa banque, Rothschild) de son intention de vendre puisqu’il a commandé une étude sur les conséquences de cette hypothèse. Il aurait dû en informer le Ministre de l’Economie au lieu de gérer ce dossier tout seul. D’abord parce qu’il convenait de respecter la procédure prescrite par la loi. Ensuite parce qu’en 2012 il était encore temps de rechercher une solution alternative. Alstom n’était pas l’entreprise de M. Kron, elle était d’abord l’enfant d’une volonté publique faite de recherche publique et de commande publique.

Avec ces allégations, on vous reproche une volonté de déstabilisation du Chef de l’Etat. Que répondez-vous à vos détracteurs ?

J’observe que M. Macron lorsqu’il a été interrogé par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 11 mars 2015 une fois devenu ministre de l’Economie, n’a pas dit toute la vérité. Notre commission d’enquête ne peut que se borner à ce constat. Le statut du Président de la République ne nous a pas permis d’aller plus loin. A titre personnel, je reste convaincu que l’Etat a fait preuve d’une légèreté coupable dans la vente d’Alstom. C’est une opération réussie pour l’actionnaire de référence, elle a peut-être du sens du point de vue industriel pour l’acquéreur. En revanche l’Etat a failli dans la défense de nos intérêts nationaux. 

Lire également :

Alstom-Siemens : “Une procédure de contrôle des investissements étrangers en France largement pervertie”

Alstom-Siemens : le Sénat à la recherche d’un rapprochement vraiment équilibré

Alstom-Siemens : au-delà du slogan de l’Airbus du ferroviaire

4205 K2_VIEWS