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Le sommeil, l’oublié de la santé publique ?

Par Sylvie Royant-Parola, psychiatre, présidente du Réseau Morphée*

Alors que le gouvernement lance 25 mesures phares de « Priorité Prévention » aux différents âges, qui reposent notamment sur une alimentation saine, la pratique d’une activité physique régulière, et la prévention des pratiques addictives, rien n’est dit sur le sommeil en tant que besoin et rythme biologique fondamental de l’individu. Or pour l’équilibre et la santé de l’être humain, « bien dormir » est aussi important que « bien manger » ou « bouger ».

Nous sommes dans une société qui est en train de changer rapidement dans son rapport au temps. Le sommeil occupe un tiers de notre vie et les habitudes de sommeil se modifient avec une heure de coucher de plus en plus tardive dans la soirée et une durée de sommeil qui se réduit (en trente ans, on a perdu une heure trente par nuit). Les jeunes, et même maintenant les petits enfants en maternelle, sont aussi les victimes de cette perte de sommeil. Pourtant le sommeil est vital pour la réparation physique et psychique, comme pour l’équilibre et la santé de l’individu. Depuis les années 1980, les effets néfastes de l’insuffisance de sommeil sont bien identifiés, notamment les retentissements cardiovasculaires (hypertension artérielle, infarctus, accidents vasculaires cérébraux, …). Plus récemment les travaux de recherche ont mis en évidence les liens entre manque de sommeil et troubles métaboliques. Quand on ne dort pas suffisamment, les hormones qui interviennent dans la régulation du poids et de l’appétit sont modifiées et la prise de poids est facilitée. Les risques de déclencher un diabète de type 2 augmentent. La privation de sommeil a également des conséquences dans la régulation des défenses immunitaires : l’organisme devient ainsi plus sensible aux infections et aux cancers, comme en témoigne la fréquence plus importante des cancers du sein et de la prostate chez les personnes en insuffisance de sommeil. Les maladies neuro-dégénératives comme l’Alzheimer sont également concernées car, pendant le sommeil, certaines zones cérébrales sont le lieu d’un lavage neuronal qui élimine les substances amyloïdes et les protéines tau, toutes deux impliquées dans ces maladies. Un sommeil trop réduit, voire trop fractionné, fait également le lit de la dépression.

Enfin, chez les enfants les conséquences du manque de sommeil sont inquiétantes, avec des effets néfastes sur les capacités d’apprentissage et la réussite scolaire. Mal dormir entraine, pour les petits, des troubles du comportement et du caractère, favorise l’ agressivité, symptômes de plus en plus rapportés par les parents et les enseignants. Les études retrouvent un lien entre sommeil raccourci et obésité de l’enfant ainsi qu’avec l’hyperactivité, pathologies en forte progression depuis ces dix dernières années.

Les causes qui conduisent notre société à malmener le sommeil sont multiples et ne sont pas spécifiquement françaises : des activités qui empiètent de plus en plus sur la nuit, avec des temps de transport souvent conséquents, des horaires de travail atypiques et décalés, des films et vidéos disponibles « à la demande », l’arrivée d’internet et l’utilisation des téléphones et des tablettes dans la chambre et dans nos lits. Nos comportements changent avec une société qui évolue très vite, trop vite pour entrainer une adaptation biologique supportable à notre organisme. Il faut pouvoir accompagner cette révolution en protégeant le sommeil des plus jeunes et des personnes vulnérables. Cela passe par des actions de prévention et d’information. Il faut aussi réfléchir et comprendre, et donc favoriser la recherche dans ce domaine pour évaluer les conséquences de ces changements, envisager comment on peut améliorer la qualité du sommeil ; il faut peut-être même se poser la question de comment dormir autrement sans risque pour l’individu.

En 2006, un rapport sur le sommeil, à la demande du Ministre de la Santé, avait élaboré ce qui aurait pu être une politique de santé constructive pour résoudre les problèmes posés par l’évolution du sommeil et de ses pathologies. En 2018, nous constatons que rien n’a été fait, avec un vrai décalage entre, d’un côté, les instances publiques qui ignorent le sommeil et, de l’autre, nos concitoyens, avides d’information et en attente de solutions qu’ils ne savent pas où trouver.

Nous avons tous besoin de dormir, la question du sommeil nous touche tous intimement, il serait temps de s’en préoccuper. 


* Auteur avec Anne Le Pennec de « Quoi de neuf sur le sommeil », à paraître aux Éditions Quae. www.reseau-morphee.fr - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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