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La face cachée des nouvelles technologies : impact des écrans sur le sommeil et les rythmes biologiques

Par le Docteur Claude Gronfier, neurobiologiste, spécialiste des rythmes biologiques et du sommeil, Inserm U1028, Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon

Les écrans des technologies d’information et de communication sont-ils un problème ? Leur utilisation peut-elle induire des troubles du sommeil ou de la veille ? Est-ce une rumeur ? Connaît on les mécanismes impliqués ? Qui est concerné ? Existe-t-il des populations à risque ? Faut-il rester les bras croisés ?

Un problème mondial de santé publique. Les études épidémiologiques et les enquêtes internationales récentes sur le sujet montrent que, partout dans le monde (USA, Canada, Japon, Australie, Angleterre, France), l’utilisation des écrans a fortement augmenté au cours des dernières années, que la durée du sommeil des utilisateurs est affectée négativement et diminue proportionnellement avec le nombre d’heures passées sur les écrans, et que les forts « consommateurs d’écrans » souffrent de troubles du sommeil, des troubles affectifs et psychiatriques, métaboliques, cognitifs et que les écoliers et étudiants ont de moins bons résultats scolaires.

En France. Les récentes enquêtes de l’INSV (1,2) nous apprennent que 46 % des Français passent plus de 2 heures par jour devant l’écran de leur ordinateur pour des besoins personnels, dont 25 % plus de 4 heures. L’utilisation le soir est élevée, 91 % utilisent leur ordinateur, tablette et/ou smartphone juste après le dîner. Les 15-24 ans sont 83 % à utiliser un écran sous la couette avant de dormir, pendant 1h08 en moyenne, et durant plus de 2h pour 20-40 % d’entre eux.

Impacts sur le sommeil. D’après ces enquêtes, les jeunes sont les plus « accros » aux NTIC et leur sommeil en pâti. En moyenne, leur temps au lit avant d’éteindre la lumière est plus long et leur sommeil est plus court (de 36 mn en moyenne chez les 18-24 ans par rapport à ceux du même âge qui n’utilisent pas d’écrans dans leur lit avant d’éteindre). Cette durée d’utilisation des écrans est en augmentation depuis 2012, et la durée de sommeil diminue par voie de conséquence. La durée de sommeil recommandée est de 8-10h chez les 14-17 ans, et de 7-9h chez l’adulte (18-64 ans). Il est donc inquiétant de constater que les 15-24 ans rapportent dormir seulement 7h17 en semaine, et 8h27 le weekend, bien loin des besoins physiologiques. Cette dette de sommeil, couplée à un retard des heures de coucher et de l’horloge biologique, est vraisemblablement responsable des conséquences cliniques observées dans les études épidémiologiques.

Mécanismes impliqués. L’impact délétère des nouvelles technologies, utilisées en excès le soir ou la nuit, n’est pas seulement d’origine comportementale ou psychologique. S’y ajoute un effet pervers, d’origine chronobiologique, qui s’exerce via la lumière émise par les écrans. En effet, la lumière des écrans (en particulier à LED) active des cellules particulières de la rétine (les cellules ganglionnaires à mélanopsine), même à de faibles intensités (3). Ces cellules transmettent un message à l’horloge biologique cérébrale, et aux structures impliquées dans l’éveil et le sommeil. Durant la journée, une telle activation est bénéfique, elle promeut la vigilance et synchronise l’horloge circadienne. Le soir, elle est “chronotoxique”, elle active la vigilance et le bien-être, empêche l’installation du sommeil, et retarde l’horloge biologique. Chez les forts utilisateurs, une dette de sommeil et une disruption circadienne peuvent alors s’installer, avec toutes les conséquences que l’on connait (pour revue, voir le rapport anses sur les effets sanitaires du travail de nuit, 2016 (4)).

Populations à risques. Les plus jeunes sont les plus à risques pour plusieurs raisons. Les études montrent qu’ils sont plus sensibles à la lumière que les adultes – les écrans ont donc plus d’impact. Leur horloge biologique est plus en retard que chez les plus âgés et ils ont biologiquement tendance à se coucher plus tard. Ils sont ainsi plus à risque de souffrir de dette de sommeil, surtout les chronotypes les plus tardifs (les couche-tard lève-tard). Une exposition excessive à la lumière le soir aura pour effet d’accentuer ce retard de l’horloge et la dette de sommeil associée. Enfin, les plus forts utilisateurs d’écrans sont aussi ceux qui passent le moins de temps à l’extérieur durant la journée et qui sont les moins exposés à la lumière solaire. Les recherches récentes suggèrent que cela pourrait augmenter la sensibilité à la lumière des écrans le soir (pour information, voir le rapport Anses sur les effets sanitaires des LED publié en 2010 (5)).

Des solutions. Il faut informer des risques de l’utilisation des écrans le soir, les enfants, mais aussi les parents et les enseignants. Enseigner l’hygiène de sommeil mais aussi l’hygiène de lumière. Pas d’écrans dans la chambre au moment du coucher et arrêt des écrans 1h avant le sommeil. Diffuser les connaissances récentes en chronobiologie sur les lumières à utiliser et celles à déconseiller le soir (notion de spectre lumineux). Utiliser les outils disponibles pour réduire l’émission de bleu des écrans vers la rétine (programmes informatiques, applications smartphone, lunettes filtrant le bleu). Enfin, il faut consulter un médecin et un spécialiste du sommeil lorsque l’utilisation des écrans impacte le sommeil et/ou la veille. Le sommeil est trop important pour être négligé (6) 


1. http://www.institut-sommeil-vigilance.org/wp-content/uploads/2016/03/DP_Journee_Sommeil2016.pdf


2. http://www.institut-sommeil-vigilance.org/wp-content/uploads/2018/03/DP_JS2018_embargo130308_10h30.compressed-1.pdf


3. http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/chronobiologie-les-24-heures-chrono-de-l-organisme


4. Anses, rapport sur les effets sanitaires du travail de nuit, Présidé par C Gronfier, juin 2016, 420pp.


5. Anses, rapport sur les effets sanitaires des LEDs, Présidé par F Behar-Cohen, 2010, mise à jour à paraitre en 2018.


6. http://www.lemonde.fr/sante/article/2017/10/08/notre-societe-neglige-de-plus-en-plus-le-sommeil-rythme-fondamental-de-l-individu_5197860_1651302.html

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