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Alstom-Siemens : au-delà du slogan de l’Airbus du ferroviaire

Par le Professeur Yves Crozet, Laboratoire Aménagement Economie Transports, Université de Lyon

La fusion entre Alstom et Siemens Mobility inquiète. Même si le nouveau groupe s’appellera Alstom-Siemens et sera présidé par un français, Siemens, la maison mère, détiendra un peu plus de 50 % du capital. L’industrie française n’est-elle pas en train de perdre un de ses fleurons ? Après la vente fin 2016, à l’Américain Wabtec, de la pépite française Faiveley (équipements ferroviaires, 1 milliard de chiffre d’affaires), il est légitime de se demander si ces accords capitalistiques ne menacent pas le tissu industriel français. Alstom compte 12 sites industriels en France où travaillent 8 500 salariés.

Le rapport provisoire, mais déjà très détaillé (119 pages), que viennent de publier les sénateurs M. Bourquin et A. Chatillon (groupe Socialiste et Républicain) souligne ce risque d’attrition de l’industrie ferroviaire française. Même s’ils regrettent que d’autres options n’aient pas été possibles, notamment avec Thalès, ils considèrent pourtant que la création d’un tel « Airbus du ferroviaire » est indispensable pour faire face aux concurrents chinois ou japonais, de plus en plus présents sur les marchés mondiaux. Alstom y a remporté de beaux succès au cours des dernières années. Fin 2017, son carnet de commandes était de 32,8 milliards dont près de 5 milliards engrangés entre avril et décembre. Pour atteindre ces résultats, comme dans d’autres industries (automobile, aéronautique, chimie, défense…) les firmes françaises ne peuvent plus raisonner sur le seul marché européen et encore moins français. Depuis plusieurs années, l’Europe représente moins de la moitié des commandes et, faut-il le rappeler, les sites français ne comptent déjà que pour un quart des 32 800 salariés d’Alstom. Cette proportion est-elle condamnée à diminuer ? Des sites français seront-ils fermés ?

Avant de répondre à cette question, rappelons quelques données. Alstom tout d’abord emploie déjà plus de 3 000 personnes en Allemagne. De son côté, Siemens Mobility est présent en France puisque son ancien nom était « Matra Transport ». Son développement a été porté par les systèmes d’automatisation des métros en France et en Amérique du Sud. Le 1er mars 2018, la RATP lui a attribué le marché de l’extension de la ligne 14 du métro. De tels succès sont nécessaires car de 2010 à 2015, Siemens Mobility a réduit de moitié ses effectifs en France qui sont aujourd’hui de moins de 1 000 personnes. Comme le soulignent les Sénateurs, la commande publique française (Grand Paris Express, TGV du futur, trains régionaux…) sera importante pour le nouveau groupe. Cela peut aider à sauvegarder des sites français, et pas seulement ceux d’Alstom. Mais les Sénateurs soulignent aussi que la fusion va permettre aux deux entités de faire des économies et des gains de productivité.

Sur ce point, la comparaison des données de base de Siemens Mobility et d’Alstom suscite quelques inquiétudes. Si les chiffres d’affaires sont proches, 7,8 et 7,3 milliards respectivement, il n’en va pas de même pour les résultats nets du dernier exercice, 678 et 289 millions respectivement. Cette moindre profitabilité d’Alstom pourrait être reliée à des effectifs plus importants, 27 100 contre 32 800. Même si l’accord entre les deux entités prévoit une période de quatre ans sans fermeture de sites, il va de soi que, comme dans toutes les industries, des évolutions auront lieu ensuite. Elles seront guidées par l’évolution des marchés mondiaux. Or, lorsque des grosses commandes sont obtenues, les pays acheteurs (Afrique du Sud, Kazakhstan…) demandent qu’une partie de la fabrication se fasse sur place. Dans le même temps, certains marchés français et européens vont connaître une moindre croissance. Il en va ainsi du matériel de fret ferroviaire, qui ne se développe pas comme l’Union européenne l’avait espéré, des tramways dont sont désormais équipés beaucoup de villes françaises et des TGV puisqu’il n’est pas prévu d’extension du réseau en France. L’industrie ferroviaire française est plus que jamais confrontée à des marchés de moins en moins français. Les conséquences pourraient être localement douloureuses. 

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