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Revenir aux fondements de la politique familiale

Par Gilles Lurton, Député d’Ille-et-Vilaine, Conseiller municipal de Saint-Malo

Depuis l’après-guerre, notre politique familiale reste un des piliers de nos politiques publiques. C’est elle qui, pendant des années, a permis de bénéficier dans notre Pays d’un fort taux de natalité. Elle a ainsi soutenu le dynamisme de notre économie et contribué à la pérennité de notre système de retraite.

Mais, force est de constater une baisse constante de la natalité depuis 2013. Cette nouvelle situation mérite de nous alerter.

Cette politique familiale, elle continue de nous être enviée par tous les Pays Européens. Son fondement, la redistribution horizontale qui veut que, quel que soit le milieu social des parents, le niveau de vie des familles ne diminue pas à l’arrivée d’un enfant dans un foyer par rapport à une famille sans enfant et à revenu identique. Tout le contraire d’une politique sociale qui, elle, assure une redistribution verticale des foyers les plus riches vers les foyers les plus pauvres.

Ce fondement, avec le groupe « Les Républicains », nous ne pouvons accepter qu’il puisse être balayé au travers d’un rapport parlementaire qui propose la suppression pure et simple du quotient familial. C’est l’outil qui assure la redistribution. Par son caractère progressif en fonction du nombre d’enfants, il nous a permis jusqu’à présent de conserver un fort taux de natalité et une juste répartition des revenus entre les familles.

Une telle proposition de suppression du quotient familial est pour nous rédhibitoire. Elle doit d’ailleurs l’être aussi pour le Président de la République qui s’était engagé, alors qu’il était candidat, à assurer aux familles un retour du montant du quotient familial à son montant avant les trois baisses du plafond subies ces dernières années. Cette remise en cause du quotient familial ferait inévitablement rentrer dans l’impôt un certain nombre de foyer actuellement non imposable avec toutes une série de conséquences sur les tarifications de services dont elles bénéficient (APL, crèches, cantines…). Cette remise en cause pèserait lourdement sur les classes moyennes qui ont pourtant déjà été lourdement frappées sous le précédent quinquennat. Cette remise en cause conduirait enfin à une vision purement individualisée de la famille qui, certes est le but recherché par certains mais pas le mien ni celui du groupe « Les Républicains ».

Au moment où j’ai pris la décision de me désolidariser de ce rapport, j’éprouve une certaine tristesse face au travail réalisé et à de nombreuses avancées qui auraient pu permettre de faire évoluer la politique familiale.

Je pense notamment au versement de la prime de naissance deux mois avant la naissance de l’enfant et non plus deux mois après comme c’est le cas depuis 2014. Avec le groupe « Les Républicains », c’est un amendement que je défends sans succès quelles que soient les majorités. Aujourd’hui, cette demande fait l’unanimité des personnes auditionnées et, semble-t-il de la majorité LREM aussi. Je pense aussi à l’universalité des allocations familiales pour laquelle je propose de revenir sur la mesure de modulation introduite par le précédent Gouvernement ; en contrepartie je suis prêt à envisager une option de fiscalisation des allocations familiales. Le calcul de la suppression de la modulation coûterait à l’Etat français 750 millions d’Euros par an et le surplus d’impôt généré par une fiscalisation des allocations rapporterait 640 millions d’Euros soit une réforme quasiment neutre financièrement pour l’Etat français. Reste à savoir sur qui pèserait le plus cette réforme ? Quel est le risque de voir entrer de nouveaux contribuables dans l’impôt ? Autant de questions pour lesquelles une véritable étude d’impact est indispensable pour se prononcer sur le fond. Autant de simulations demandées au Gouvernement sans pouvoir les obtenir !

Cette volonté de revenir aux fondements de la politique familiale ne doit pas pour autant nous exonérer de trouver les meilleures solutions susceptibles de faire face à la pauvreté des familles. En France aujourd’hui, plus d’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté ! Les familles les plus touchées sont souvent les familles monoparentales qui bénéficient des minima sociaux et pour lesquelles, à chaque fois que nous augmentons les allocations dont elles sont susceptibles de bénéficier, cela vient déduire d’autant leur revenu de base.

Dans le cadre de notre mission, nous avons réfléchi au principe d’une allocation dès le premier enfant. Son coût est estimé de 3 à 4 milliards d’Euros pour l’Etat français. Autant dire impensable sans trouver les financements au sein même de la politique familiale. Je remarque simplement que, avec un solde positif de 300 millions d’Euros dès 2017 et de 1,3 milliard d’Euros en 2018, les projections pluriannuelles retenues pour l’élaboration du PLFSS 2018 laissent espérer un excédent très significatif pour les années ultérieures, jusqu’à 5 milliards d’Euros en 2021 !

A travers ce travail, notre mission a aussi voulu faciliter la vie quotidienne des familles.

Je pense à cette mauvaise réforme du congé parental partagé de 2014. C’est un échec cuisant. La part des pères bénéficiant du dispositif stagne autour de 3 %. A sa place, notre mission souhaitait proposer un congé plus court et mieux rémunéré. En d’autres termes, les parents salariés pourraient poser leurs jours comme ils le souhaitent jusqu’aux trois ans de l’enfant. Ainsi, un parent pourrait faire le choix de prendre tous ses mercredis au titre du congé parental.

Cette mission souhaitait aussi proposer un partage de toutes les prestations y compris les allocations familiales en cas de séparation des parents, le calcul des droits des allocataires en année n-1 et non plus n-2, la fin de la sur-taxation des lignes d’appel de la CAF (actuellement 6 centimes d’Euros par minute), la généralisation du data mining, expérience actuellement menée par la CAF de Gironde pour lutter contre le non-recours aux droits.

Mais, la politique familiale c’est aussi, et c’est sans doute aujourd’hui le plus important, la conciliation vie familiale et vie professionnelle.

Alors que notre Société évolue, que de plus en plus de femmes travaillent et souhaitent préserver légitimement leur activité salariée, nous avons le devoir de trouver les meilleures solutions de garde de leurs enfants. La précédente Convention d’objectif et de gestion (COG) prévoyait la création de 250 000 places de crèches entre 2013 et 2017. Seulement 60 000 ont été créées ! Il faut simplifier et uniformiser les normes existantes, fixer des objectifs locaux de création de places d’accueil à la place d’objectifs nationaux car les besoins ne sont pas les mêmes partout. Notre mission proposait également de réfléchir à une aide unifiée pour les familles, quel que soit leur mode de garde, la revalorisation de la Prestation de service unique versée aux crèches publiques en fonction de leur activité, quand elles accueillent des enfants handicapés ou de milieux plus défavorisés. La profession d’assistantes maternelles doit être revalorisée grâce à des formations adaptées et continues. Elles doivent aussi pouvoir, quand elles le souhaitent, se regrouper en Maisons d’Assistantes Maternelles (MAM). Il nous faut simplifier les procédures permettant d’y parvenir tout en préservant la qualité de l’accueil de l’enfant. Enfin, les Maires doivent être mieux associés à cette politique de développement des modes de garde qu’ils soient privés ou publics et surtout être parfaitement informés de ce qui existe sur leur territoire.

Autant de propositions et d’autres en terme d’aide à la parentalité développées dans notre rapport et qui auraient mérité d’être connues de tous pour adapter notre politique familiale aux évolutions de notre société et des familles, pour que ce soit la vie professionnelle qui s’adapte à la vie familiale et non pas à l’inverse. Autant de propositions qui auraient pu pour certaines être améliorées, être approfondies. Autant de propositions qui auraient nécessité d’être connues, avant de décider, dans le cadre du PLFSS pour 2018 voté à l’automne dernier, de baisser le montant de la Prestation d’accueil Jeunes Enfants (PAJE) de 15 € par bénéficiaire.