Print this page

La fin des contrats aidés : une opportunité sans précédent pour repenser le modèle de l’inclusion

Par Jean-Marc Borello, Président Fondateur du GROUPE SOS et Délégué National à la Transformation économique et sociale à LaREM

Personne n’est inemployable ! C’est la devise du GROUPE SOS (1). Quatre mois de concertation avec près de 400 acteurs partout en métropole et Outre-mer la confirment. Face aux raccourcis et aux discours simplistes de certains qui dénoncent un « cancer de l’assistanat », il est nécessaire de sortir des préjugés que l’on peut avoir sur les demandeurs d’emploi. Considérer que le chômage relève uniquement de la responsabilité du chômeur et qu’il n’a de conséquences que sur son quotidien est une aberration.

Dans l’immense majorité des cas, le chômage n’est pas de la « faute » du chômeur mais relève d’une responsabilité collective : notre système capitaliste, dont la légitimité est de créer des richesses, ne permet pas à 10 % de la population de participer à l’activité productive de notre nation, et par là-même, leur fait courir un risque d’exclusion sociale et de précarité. Concrétiser le droit de chacun d’obtenir un emploi et ainsi d’accomplir son devoir de travailler, voilà l’une des facettes de ce que l’on peut appeler un « capitalisme d’intérêt général ».

Le sujet n’est pas ici économique – il ne s’agit pas de savoir si c’est en incluant largement dans l’emploi que nous serons productifs ou si c’est en étant productifs que nous pourrons inclure dans l’emploi. Il s’agit de la République, de la concorde civile, de la cohésion, ou de ce que certains appellent « le vivre ensemble ». Cette exigence collective et réciproque ne se limite pas seulement aux valeurs de notre devise républicaine, à l’instruction publique, à la laïcité, aux symboles, au sentiment de solidarité lorsque notre pays est frappé par des attentats, etc. Elle ne se limite pas à la part que chacun doit prendre en exerçant son métier de citoyen, en votant, en s’instruisant, en débattant, en payant ses impôts. Nous n’avons rien fait tant que l’opportunité n’est pas donnée à chacun de prendre part à la production collective, à la vie économique de la nation, par son travail.

Pourtant, l’emploi ne règle pas tout. Le mal-être au travail existe, de même que les formes précaires d’emploi, qui se multiplient. Subventionner un contrat quelques mois, sans organiser de formation ni d’accompagnement, revient presque à retirer d’une main ce qu’on donne de l’autre, dans une certaine forme de précarité. Mais le chômage dérègle tout. L’emploi constitue donc la première marche, le support indispensable à une inclusion dans la société et dans notre nation.

Si personne n’est inemployable, cela signifie que l’employabilité n’est pas un concept opérant. L’employabilité n’existe pas, il n’y a que des rencontres professionnelles. Nous sommes responsables collectivement pour déterminer quel type de société nous voulons. Face à l’emploi, les employeurs sont autant responsables que les demandeurs d’emploi, la responsabilité est partagée. Certains employeurs engagés – des associations, collectivités, entreprises adaptées et d’insertion - sont des éclaireurs en la matière. Il faut se donner les moyens d’aller plus loin. L’argent public destiné à l’emploi ne doit pas servir à équilibrer les finances d’une collectivité ou d’une association. Ces deniers publics doivent inciter tous les employeurs à devenir plus inclusifs, à pratiquer l’inclusion dans l’emploi. Plus qu’une aide, c’est un investissement social qui doit profiter à tous.

Les « contrats aidés » une réponse partielle aux exclus du marché du travail

Si les « contrats aidés » ont été créés avec l’objectif d’insérer durablement les personnes éloignées de l’emploi, force est de constater que trois quarts des bénéficiaires ne trouvaient pas d’emploi durable à la sortie. Pire, les contrats aidés ont permis aux gouvernements successifs de réduire statistiquement les chiffres du chômage en finançant les structures sans s’intéresser véritablement aux parcours des plus exclus. On a trop longtemps pensé à partir d’un « mécano » de dispositifs et pas assez à partir des personnes, qui devaient entrer dans des cases pour pouvoir en bénéficier. Le rapport annuel de la Cour des comptes paru il y a quelques jours (2) a également pointé les limites des « contrats aidés » : très coûteux et peu efficaces, sans accompagnement ou formation. Nos recommandations faites à la Ministre du Travail, Muriel Penicaud, répondent à ces dysfonctionnements.

Le parcours emploi compétences, c’est en même temps employer, former et accompagner

Premier grand changement, nous allons sélectionner les employeurs qui vont bénéficier du nouveau dispositif unique baptisé « parcours emploi compétences » (PEC). Ils devront mettre en œuvre tout ce qui permet de s’insérer durablement, à savoir un triptyque : mise en situation professionnelle, formation et accompagnement personnalisé. Les PEC seront mieux ciblés et déterminés en fonction des besoins des employeurs et de chaque salarié. Les compétences que l’occupation du poste permettra d’acquérir seront inscrites dans le contrat et engageront l’employeur. Un à trois mois avant la sortie du parcours, un bilan sera réalisé pour contrôler le suivi des engagements et d’évaluer le cas échéant l’opportunité d’un renouvellement de l’aide ou encore d’enclencher une action de formation complémentaire aux compétences acquises pendant le parcours. Pour ce faire, 100 millions d’euros du Plan Investissement Compétences (PIC) seront mobilisés. Les employeurs – associations ou collectivités territoriales - qui ne respecteront pas leurs engagements n’auront plus accès au financement de ce parcours.

Une mise en œuvre qui fait confiance au terrain

Deuxième grand changement, nous n’allons plus appliquer le même dispositif quel que soit le territoire. A Mayotte, en Ile-de-France ou dans la Creuse, la situation n’est pas la même. Il faut faire du “sur-mesure”. On a par exemple attribué par le passé des contrats aidés à des associations qui demandaient des financements pour de l’insertion par l’activité économique (IAE), parce que les crédits d’insertion avaient été épuisés. Les crédits ne doivent plus être décidés à Paris mais au plus près du terrain. Les préfets de région ont maintenant en main un « fonds d’inclusion dans l’emploi » de 2,3 milliards d’euros rassemblant les PEC, l’IAE, les entreprises adaptées et les mesures consacrées aux jeunes afin d’organiser une fongibilité entre ces aides permettant d’assouplir les cases pour qu’elles s’adaptent mieux aux réalités locales. L’objectif est de donner à l’Etat territorial une capacité nouvelle à expérimenter, à nouer des partenariats avec les collectivités locales, et à donner une visibilité pluriannuelle aux acteurs de terrain. C’est l’assurance de faire bénéficier à tous des fruits de la croissance, partout en métropole et en Outre-mer.

19 propositions pour se donner les moyens de l’inclusion

Le jour de la remise du rapport, Muriel PENICAUD a envoyé sous forme de circulaire ces 4 propositions (triptyque, PEC, PIC, fonds régional) aux préfets. Nous passons ainsi de la quantité – la politique du chiffre et de la baisse artificielle du chômage – à la qualité, une logique d’investissement social pour l’inclusion de tous.

L’inclusion économique et sociale est cependant un chantier plus vaste, auquel tous les ministères devraient participer, au lieu de colmater les brèches d’autres ministères avec le budget de l’emploi, comme par le passé. Une mobilisation large est en effet nécessaire. Ce rapport sur l’emploi préconise certains moyens d’inclusion, mais il faut aller à la racine, et rendre notre système économique moins excluant.

Il était urgent de transformer notre modèle pour qu’il soit plus efficace, plus juste et qu’il profite à tous. 


(1) Première entreprise sociale et solidaire en Europe fondée et présidée par Jean-Marc Borello


(2) Cours des comptes, rapport public annuel 2018, 7 février 2018

1405 K2_VIEWS