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Réforme de la formation professionnelle : une révolution

Par Mathilde Lemoine, Economiste, Professeur à Sciences Po*

La mondialisation et le progrès technique font rapidement évoluer les compétences et les qualifications demandées par les entreprises. Jusqu’à présent, la réponse apportée par les politiques publiques était la baisse des charges sociales.

En effet, les salariés étaient considérés comme un coût et non comme des parties intégrantes de la compétitivité d’une entreprise. Une des grandes avancées de la réforme de la formation professionnelle proposée par la Ministre du Travail, est de mettre fin à cette recherche de compétitivité par la seule baisse des coûts du travail que je qualifierai de « compétitivité par le bas ». D’une part, en portant une attention particulière aux salariés les moins qualifiés, les mesures proposées vont permettre à ces travailleurs de participer à la diffusion des innovations, ce qui est une source de compétitivité trop faiblement exploitée. De plus, les salariés vont avoir plus facilement accès à des formations leur permettant de changer de métier, d’entreprise ou de secteur. Leur mobilité va alors être facilitée et l’impact négatif de la mondialisation circonscrit. Le renforcement des compétences et le maintien de l’employabilité résultants de la réforme vont améliorer la compétitivité des biens et services produits en France en permettant aux entreprises d’être plus innovantes et plus réactives à l’évolution de la demande mondiale. C’est une source d’accroissement du pouvoir d’achat de l’ensemble des Français relativement à leurs partenaires commerciaux et de croissance.

Les inégalités et les faiblesses du système de formation professionnelle français sont bien documentées depuis plusieurs dizaines d’années. Premièrement, les formations continues bénéficient principalement aux diplômés. Deuxièmement, elles visent principalement à améliorer la productivité au poste de travail. Elles ne permettent donc pas aux salariés de changer de poste ou d’entreprises en cas de restructurations ou d’évolution des métiers. Troisièmement, la France se caractérise par un accès très limité à la formation pour les plus de 45 ans malgré le report de l’âge à la retraite et la rapidité des mutations technologiques qui nécessitent un effort de maintien et d’évolution renforcé des compétences. Quatrièmement, les inégalités d’accès varient fortement en fonction des secteurs. Cinquièmement, l’heure de formation est plus coûteuse en France que dans les autres pays de l’Union européenne. Enfin, les dispositifs qui jouaient un véritable rôle de promotion professionnelle et d’aide à la mobilité comme le contrat de professionnalisation et le congé individuel de formation sont gérés de façon malthusienne. Il en a résulté une exclusion du marché du travail par vagues successives des moins qualifiés et des seniors et une trop timide diffusion des innovations dans l’ensemble du tissu productif français.

La création du compte de formation professionnelle a constitué une véritable avancée puisque les droits de formation étaient attachés au salarié. Mais l’évolution des technologies de production, la part relativement importante de salariés peu qualifiés en France, l’accroissement des inégalités et le vieillissement nécessitaient autre chose qu’une enveloppe de droits portables. En effet, la mondialisation a engendré une chute de la demande de travail répétitif (routine tasks) au profit d’une demande accrue de travailleurs capables d’effectuer des tâches nécessitant des initiatives personnelles. La demande de compétences cognitives, verbales et interpersonnelles augmente depuis les années 1990 tandis que les compétences techniques et d’efforts physiques diminuent tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Par ailleurs, les résultats du Programme OCDE pour l’évaluation internationale des adultes (PIACC) ont montré que la France se distinguait par une proportion élevée de salariés ne maîtrisant pas la compréhension de textes complexes ni les concepts numériques. Bien sûr, la formation initiale compte pour beaucoup, mais l’influence de la formation continue est réelle puisque les études l’OCDE dévoilent que les compétences en littératie et en numératie se dégradent beaucoup plus rapidement avec l’âge en France que dans la plupart des 24 autres pays étudiés, en particulier pour les moins qualifiés. L’enjeu est donc de permettre à tous d’acquérir ou de garder des compétences facilitant la gestion et la maîtrise des changements technologiques, économiques et organisationnels.

Mais la complexité et les inégalités d’accès à la formation continue ont continué de faire de la politique d’allègement de charge l’alpha et l’omega de la politique de compétitivité. Or une telle politique est une fuite en avant. Cette orientation ne peut que retarder le moment du chômage. Elle ne résout pas le problème de la diffusion des innovations dans l’ensemble de l’appareil productif français ni celui de l’obsolescence des compétences. En réduisant le coût de production des salariés victimes de la fin du taylorisme sans leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences ou de développer les leurs, les politiques d’allègements de charge ne font que gérer transitoirement la déqualification d’une partie de la main d’œuvre. En revanche, la mise en place des formations non spécifiques au poste de travail pourrait limiter les sorties massives et régulières du marché du travail d’une partie des travailleurs. Selon une étude menée par l’OCDE dans 14 pays, les travailleurs ayant perdu leur emploi sont ceux qui « mobilisaient le moins de compétences mathématiques, verbales, cognitives et interpersonnelles » avant le licenciement et ils occupaient des emplois requérant un niveau de formation moins élevé que le niveau moyen. L’INSEE a aussi démontré que les travailleurs ayant bénéficié de formations continues sont moins souvent et moins longtemps au chômage que ceux n’ayant pas eu accès à de tels dispositifs. A contrario, les contrats de professionnalisation destinés avant tout aux personnes dont le niveau de qualification était inférieur au baccalauréat ont permis à trois quarts d’entre elles d’être en emploi six mois après la fin de leur contrat, selon la DARES.

En ciblant les plus fragiles et en mettant les salariés au centre du dispositif, la Ministre du Travail veut faire de la formation professionnelle un instrument actif de réduction des inégalités et de maintien dans l’emploi. D’une part, le compte personnel de formation des salariés moins qualifiés sera crédité d’un montant supérieur. Ils pourront être accompagnés par un conseiller en évolution professionnelle et ne seront pas seuls face aux choix de formations. D’autre part, les salariés à temps partiel auront les mêmes droits que ceux à temps plein. Enfin, les chômeurs pourront avoir accès à des modules de compétences de base et de savoirs numériques. Cette réduction des inégalités d’accès à la formation continue aura pour conséquence de limiter les sorties du marché du travail et le déclassement. De plus, elle facilitera la diffusion des innovations et participera ainsi au redressement de la compétitivité des entreprises et du potentiel de croissance de la France. Cet effet macro-économique devrait être consolidé par la possibilité offerte aux salariés de choisir directement des formations certifiées, dans leur bassin d’emploi ou leur région. Ils vont alors pouvoir développer des compétences ou des connaissances moins directement guidées par le « maintien dans l’emploi qu’ils occupent ». Mais pour que la réforme ait un maximum d’impact, une attention particulière devra être portée aux publics ayant « peu d’appétence » pour la formation car elle s’apparente pour eux à un retour à l’école ou parce qu’ils supportent seuls la charge familiale. Les représentants des entreprises et des branches devront quant à eux soutenir la participation aux formations renforçant les compétences transférables même si ce n’est pas leur intérêt à court terme. Des incitations seront peut-être nécessaires pour que tous les acteurs contribuent à faire progresser la main-d’œuvre en compétences et participent ainsi au développement du bien-être collectif. 


1. Pour plus de détail, cf le rapport Terra Nova « entrer et rester dans l’emploi : un enjeu de compétitivité, un levier citoyen »


* Présidente du rapport Terra Nova « entrer et rester dans l’emploi : un enjeu de compétitivité, un levier citoyen » publié en 2014 et co-auteur avec E. Wasmer du rapport « les mobilités des salariés » publié en 2010 à la Documentation française

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