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Le clivage politique caché : pouvoir vertical contre pouvoir horizontal

Par Luc Rouban, Directeur de recherche au CNRS, Cevipof - Sciences Po*

Les résultats de la vague 9 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof sont très surprenants. On s’attendait à un regain de confiance après les élections de 2017 et le chemin de croix parcouru par le Parti socialiste et François Hollande. Il n’en a rien été et le niveau de confiance dans les institutions politiques nationales et même locales a encore baissé, parfois de 10 points, en un an. Seuls le président de la République et le Premier ministre connaissent à titre personnel un regain de confiance. Comment expliquer un tel phénomène ?

Pour comprendre ce qui se joue derrière ces chiffres, il faut étudier les attentes des citoyens à l’égard du pouvoir non pas dans ses résultats en termes de politiques publiques mais dans sa conception même en termes d’autorité. Sur la base d’une batterie de questions portant sur ce que les citoyens attendent d’un bon responsable politique, on peut voir émerger une structure de réponses qui s’organise en deux pôles, celui du pouvoir vertical et celui du pouvoir horizontal. Alors qu’une moitié des citoyens considère qu’un bon responsable sait s’entourer d’experts et trancher sans tenir compte des critiques, l’autre moitié pense au contraire qu’il doit prendre l’avis du plus grand nombre et passer des compromis afin d’éviter les conflits.

Ce clivage explique en grande partie les variations du niveau de confiance dans les institutions ou dans le personnel politiques : les tenants du pouvoir vertical sont bien plus confiants que ceux qui préfèrent le pouvoir horizontal. Il ne vient pas effacer le clivage gauche - droite mais ne se résume pas non plus à une division entre partisans de la société ouverte et partisans de la société fermée. C’est même le contraire car les partisans du pouvoir vertical se recrutent en particulier dans l’électorat d’Emmanuel Macron. Ce sont des diplômés libéraux sur le plan culturel mais préférant un pouvoir hiérarchique à un pouvoir participatif. Ils préfèrent l’efficacité managériale à la construction de la légitimité démocratique par le débat. On touche ici au paradoxe central du macronisme. Alors que ce dernier s’est construit sur la base du militantisme de participation défendu par la République en marche, ses électeurs sont clairement en faveur d’une interprétation verticale du pouvoir.

On pourrait sans doute interpréter cette fracture comme illustrant la différence entre les «élitistes » et les «populistes ». De fait, le pouvoir vertical attire davantage les citoyens se situant à droite et au centre alors que le pouvoir horizontal reste un marqueur à gauche de La France insoumise et à droite du Front national comme celle du marais politique de ceux qui ne savent pas quoi répondre. Néanmoins, la proportion de ceux qui choisissent le pouvoir horizontal au sein de la gauche radicale (67 %) est plus élevée que celle que l’on trouve au sein de la droite radicale (59 %). Il existe un populisme de gauche et un populisme de droite qui ne sont pas symétriques.

Ce clivage a une base sociale. Le modèle vertical de pouvoir est préféré par les classes supérieures alors que les classes moyennes sont divisées et que les classes populaires préfèrent le modèle horizontal : 59 % des enquêtés ayant au moins le niveau de la licence préfèrent le modèle vertical et 38 % le modèle horizontal alors que 39 % des enquêtés ayant un niveau CAP – BEP préfèrent le modèle vertical et 60 % le modèle horizontal.

C’est ici que se noue la question centrale : les élections de 2017 n’ont pas réglé l’immense problème de la fracture sociale qui s’est puissamment exprimé par la montée en force du populisme comme de l’abstention aux législatives. Cette fracture conditionne désormais très clairement les futures évolutions constitutionnelles. 


*Luc Rouban vient de publier La démocratie représentative est-elle en crise ? à la Documentation française, Paris, 2018.

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