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“Il faudra deux à trois années de croissance significative, pour que le chômage recule nettement”

Entretien avec Christian Saint-Etienne, Professeur titulaire de la Chaire d’économie au CNAM*

Alors que l’économie repart, le chômage ne baisse pas. Un paradoxe français ?

La croissance française de 1,9 % en 2017 a été bonne et meilleure qu’attendue. Pour autant les chiffres de l’emploi ne semblent pas corrélés puisque le nombre des demandeurs d’emploi a peu diminué. Est-ce à dire que nous sommes arrivés à une croissance sans emploi ou qu’il s’agit plutôt d’une spécificité française et pourquoi ?

La croissance de la zone euro a été supérieure à celle des Etats-Unis en 2016-2017. Même si le FMI anticipe une accélération de la croissance américaine en 2018, notamment sous l’effet de la réforme fiscale votée en décembre 2017, celle de la zone euro devrait ralentir en 2018 sous le triple effet de la baisse du dollar, de la hausse des taux d’intérêt et de celle des prix du pétrole.

EC saint etienne graph

La croissance française va, en revanche, continuer d’être inférieure à celle de la zone euro et à celle de l’Allemagne en 2018, pour la cinquième année consécutive, ce qui traduit l’affaiblissement relatif de notre économie suite aux erreurs de politique économique en 2012-2013 (alourdissement massif de la fiscalité et rigidification du marché du travail avec notamment le compte de pénibilité). Le CICE, le pacte de responsabilité et la réforme du marché du travail, toutes mesures mises en oeuvre en 2014-2017, ont conduit à une accélération de l’investissement productif en 2017, mais il faudra deux à trois années de fort investissement productif pour que la croissance française rattrape celle de la zone euro.

L’amélioration de la conjoncture française est néanmoins significative en 2017. Alors que la dépense de consommation des ménages décélère de 2,1 % en 2016 à 1,3 % en 2017, la FBCF (investissement de la nation) accélère de 2,7 % en 2016 à 3,7 % en 2017. Même la croissance des exportations accélère de 1,9 % en 2016 à 3,5 % en 2017. La contribution négative du commerce extérieur à la croissance se réduit de – 0,8 % du PIB en 2016 à – 0,3 % du PIB en 2017.

L’investissement du secteur productif accélère de 3,4 % en 2016 à 4,3 % en 2017. En niveau, l’investissement productif dépasse le niveau de 2007, avant la crise. C’est la variable clé à suivre en 2018-2019 : si la croissance de l’investissement productif se maintient sur une pente de 3 % à 4 % par an, la France pourrait enfin desserrer ses contraintes de production compétitive.

Si le taux de marge des sociétés non financières devrait se situer autour de 32 % en 2017 et 2018, soit un peu au-dessus du niveau de 2016 (31,8 %), il reste inférieur au niveau de marge observé en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni qui s’établit au-dessus de 40 %.

En dépit de cette accélération de l’activité, la baisse du nombre de chômeurs est de seulement 120 000 de décembre 2016 à décembre 2017. L’emploi a augmenté de 240 000 personnes, soit de 0,9 % de la population active tandis que la productivité a augmenté de près de 1 %, ce qui donne la croissance totale de 1,9 % de l’économie française. C’est l’arrivée de 120 000 personnes de plus dans la population active qui explique que le chômage n’ait pas plus baissé. La hausse de la productivité est naturelle dans une phase de reprise. Il faudra deux à trois années de croissance significative, en lien avec l’investissement productif, pour que le chômage recule nettement.

Les ordonnances sur la réforme du code du travail et les réformes attendues sur l’apprentissage, la formation professionnelle sont-elles de nature et d’ampleur suffisante selon vous pour résoudre ce paradoxe de bonne croissance sans emplois ?

Le taux de chômage devrait s’établir un peu au-dessus de 9 %, au sens du BIT, au printemps 2018. La population active se divise en deux parties : environ 60 % qualifiée et 40 % peu ou pas qualifiée. Le taux de chômage national de 9 % se divise en un taux de 5 % pour la population qualifiée et de 15 % pour la population peu ou pas qualifiée. Pour réduire ce dernier niveau de chômage, il faut surtout compter sur la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

Il faut absolument que le nombre d’apprentis passe de 400 000 à 600 000 et que la formation professionnelle soit redirigée vers les peu ou pas qualifiés.

La réussite de ces deux réformes est clé pour l’avenir du pays. 

* Auteur de “Osons l’Europe des nations”, janvier 2018

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