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Une île

Sur le point de resurgir des profondeurs de la Méditerranée, l’île (engloutie) Julia située au large de la Sicile et revendiquée par la France, l’Italie et la Grande-Bretagne pourrait bientôt faire reparler d’elle. Un nouvel épisode à ajouter à une histoire déjà bien mouvementée.

L’apparition dans le Pacifique d’une île née de l’éruption d’un volcan sous-marin en 2014, abordée pour la première fois par deux scientifiques français en 2017 a fait remonter en moi l’histoire d’une île au triple nom : Julia pour les Français, Ferdinandea pour les Italiens et Graham pour les Anglais. Cette île est « capricieuse » s’amuse l’historien Bruno Fuligni pour décrire les apparitions et disparitions de Julia qui, à intervalles plus ou moins réguliers et depuis l’Antiquité se rappelle à notre bon souvenir. On l’aperçoit brièvement en 1831, en 1833, en 1863 et 1893… En 1923, le commandant Charcot la retrouve à soixante-dix mètres de profondeur, elle est à vingt-cinq mètres en 1925, huit mètres en 1999 et aujourd’hui à moins de cinq mètres de la surface. On l’attend. On l’espère. Mais sa résurgence pourrait raviver un contentieux vieux de 186 ans. Remontons le temps. En juillet 1831, des marins croisant au large de la Sicile, à quelques encablures du port de Sciacca, racontent avoir vu la mer bouillonner et un volcan faire irruption. Une île vient de naître. « Julia, c’est l’eau et le feu, l’air et la terre qui se rencontrent, fusionnent, éclatent en un même bouillonnement de matière – un cataclysme des premiers temps » écrit Bruno Fuligni. A l’époque, l’affaire fait grand bruit.

A Paris, on se prend à rêver d’une (petite) conquête pacifique et scientifique. Le ministère de la Marine met pour l’occasion le brick de guerre La Flèche à disposition de l’Académie des Sciences. Le géologue français, Constant Prévost se porte immédiatement volontaire pour reconnaître ce bout de terre et y débarquer au nom de la France. Une mission encouragée par le roi Louis-Philippe qui recevra personnellement le géologue peu avant son départ. Le 25 septembre La Flèche est en vue de l’île. En raison d’une météo défavorable, il faut attendre trois jours avant d’aborder « ce petit coin de terre qui nous amenait de si loin ». Foulant son sol, Constant Prévost s’enflamme : « Vainqueurs de Neptune, nous n’avions plus que Pluton à vaincre ». « Le phénomène [étant] apparu au mois de juillet », l’île est baptisée Julia explique le géologue qui rend du même coup discrètement hommage à la Monarchie de Juillet qui l’envoie. Le drapeau français est hissé, un écriteau en bois déposé « non pas pour prendre possession par une vaine et ridicule cérémonie d’un tas de cendre surgi au milieu des mers mais pour constater notre présence, et pour apprendre à ceux qui viendront après nous que la France et son gouvernement ne laissent échapper aucune occasion de montrer l’intérêt qu’ils prennent aux questions scientifiques ». Mesures prises, Julia qui rétrécit à vue d’œil depuis son apparition ne fait que sept cent mètres de circonférence, soit une superficie inférieure à quatre hectares. Son point le plus haut culmine à près de soixante-dix mètres. Mais la France n’est pas la seule à revendiquer l’îlot. Les Anglais, « ces chiffonniers de l’océan » (Jules Vernes) affirment avoir pris pied sur Graham (Premier lord de l’Amirauté) dès le mois d’août, ce qu’a priori ignoraient les Français.Pour le Royaume des Deux-Siciles, l’île est de facto à lui puisque étant située « dans ses mers ». Et puis à cette date, vu la météo, les Anglais n’auraient pas pu débarquer insiste-t-il. Enfin, personne n’a vu flotter, ni même trouvé la moindre trace de l’Union Jack sur l’île. Les Anglais, menteurs ? La question n’a jamais été tranchée. Le 8 décembre 1831, après cinq petits mois à la surface, l’île replonge dans les profondeurs de la Méditerranée mettant ainsi fin à la querelle entre les trois nations. Constant Prévost devra patienter seize ans pour présenter sa découverte à l’Académie des Sciences. Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Julia approche de la surface. Le Royaume-Uni a semble-t-il renoncé à défendre un supposé titre de propriété ; la France ne revendique rien. Quant à l’Italie, elle considère Ferdinandea comme sienne. Mais c’est sans compter de nouvelles prétentions : Malte, la Tunisie, la Libye et même la Patagonie sont sur les rangs. Aujourd’hui, la Convention de Montego Bay de 1982 qui régit le droit de la mer ne reconnaît pas l’intermittence territoriale – une île doit être permanente, ce que n’a jamais été Julia-Graham-Ferdinandea. Si elle devait réapparaître, l’île serait juridiquement une nouvelle île, susceptible d’être revendiquée par tout à chacun. Qui sera le premier ? 

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