La solution serait de trouver un juste milieu entre suffisamment d’engagement dans le travail pour rester fier de ce que l’on fait et un contrôle de cet engagement pour se protéger. Cette bonne distance n’est pas donnée a priori, mais doit être discutée et négociée dans chaque milieu de travail. Si l’organisation du travail fixe des idéaux contradictoires ou inatteignables, s’il n’existe pas de débat sur les objectifs à atteindre et les moyens pour y parvenir, les personnes en situation de burn-out risquent de devoir changer d’emploi, voire de métier (ce qui n’est pas toujours possible). Si le burn-out n’est pas reconnu et si aucun accommodement individuel ou collectif n’est trouvé, c’est sous l’étiquette de « dépression » que seront prises en charge les conséquences de ce processus. Or cette étiquette est beaucoup plus invalidante et stigmatisante que celle de burn-out. Un salarié en burn-out a généralement des difficultés liées au travail et, au moins au début, est capable de développer des projets de reconversion ou dans sa vie hors-travail. Un dépressif souffre d’idées noires et de dévalorisation de soi dans l’ensemble des dimensions de son existence (et pas seulement en lien avec le travail). De plus, être soigné pour dépression, c’est être renvoyé à de supposées insuffisances personnelles ou à un dysfonctionnement biochimique. La prescription d’antidépresseurs, outre les effets secondaires, vient confirmer cette représentation. Enfin, les salariés traités pour dépression (même liée au travail) sont très massivement pris en charge au titre du régime ordinaire d’assurance-maladie. Si le burn-out était reconnu comme maladie professionnelle, son coût reposerait sur le régime AT/MP, ce qui aurait pour effet d’inciter les entreprises à améliorer la prévention et l’organisation du travail.
Malheureusement, le cadre actuel des tableaux de maladies professionnelles reste très strict et permet mal la prise en compte de processus complexes comme le burn-out. Si la gravité des troubles, à un même niveau d’exposition au risque, peut varier en fonction des contextes professionnels ou des histoires individuelles, il sera facile aux organisations patronales de rejeter toute proposition d’un nouveau tableau, sauf à passer en force comme ce fut le cas en 2002 avec la loi sur le harcèlement moral. Mais ce traitement exceptionnel pourrait alors produire un effet d’éviction sur d’autres formes d’épuisement ou d’usure. Le stress chronique lié au manque de ressources pour faire face aux exigences du travail ; l’usure physique et psychologique liée aux gestes répétitifs sous contraintes de temps et au manque de perspectives professionnelles ; les dépressions liées aux licenciements ou à la précarité, etc., ne sont pas du burn-out mais représentent des problèmes importants qu’il faut prendre en compte. Seuls les métiers à responsabilité ou en relation avec un public auraient facilement accès à cette nouvelle reconnaissance du burn-out, laissant les métiers plus pénibles, moins qualifiés et plus modestes à l’écart.
C’est pourquoi le législateur pourrait plutôt inciter les entreprises à reconnaître certaines formes de pénibilité (comme le travail répétitif sous contrainte de temps, l’absence de marges de manœuvre ou les injonctions contradictoires) et à favoriser un dialogue en interne sur les objectifs et la qualité du travail. ■