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Comment profiter de la transformation des organisations de travail pour favoriser le bien-être au travail ?

Par Bernard Ollivier, Président du Conseil d’Administration de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT)

La plupart des grandes entreprises et des structures publiques affrontent aujourd’hui un environnement concurrentiel ou des systèmes de contraintes qui les amènent à adapter quasiment en continu leur organisation et leurs processus internes : selon l’enquête « Conditions de Travail » 2013 de la DARES, 40 % des salariés disaient avoir connu des changements organisationnels structurels dans les trois années précédentes. Et d’autres enquêtes plus récentes font grimper ce chiffre à près de 70 % ! La logique de restructurations par à-coups, qui était la plus visible à la fin du siècle dernier, a cédé la place à un processus d’adaptation permanente peut-être moins visible mais dont les effets sont beaucoup plus puissants.

Or la succession des transformations constitue à elle seule un facteur de risques sur la santé et le bien-être au travail, ce que les Anglo-Saxons nomment la « change fatigue » : quand les structures, les process, les environnements de travail évoluent de manière très rapprochée dans le temps, même avec beaucoup de pédagogie sur les raisons de ces changements, vous générez nécessairement de la perte de repères et de sens pour ceux qui vivent ces évolutions. Et quand ces processus de transformation sont conçus de manière trop unilatérale, trop descendante, en « suivant le manuel à la lettre » plutôt qu’en observant ce qui se passe sur le terrain et en s’adaptant, ils créent de nouveaux facteurs de désengagement, voire de l’épuisement professionnel. Avec à la clé des dégâts humains et des risques sociaux importants, mais également de la sous-performance.

C’est précisément pour aider les entreprises à éviter l’immense gâchis humain et économique que représentent des transformations mal conçues et mal pilotées que l’action publique doit enrichir ses modalités d’intervention : assurer les conditions du bien-être au travail ne se résume pas à éliminer les facteurs de risque et à réglementer pour assurer un environnement de travail sûr et sain, même si cela est indispensable. C’est surtout soutenir l’innovation organisationnelle et managériale qui permet de construire collectivement des systèmes de travail orientés vers la performance durable. Ce « travail soutenable » est un enjeu économique, autant, si ce n’est davantage, qu’un enjeu social.

Voilà pourquoi nous devrions réinterroger en profondeur l’organisation même de nos politiques publiques, qui restent encore trop cloisonnées entre des politiques de santé au travail et des politiques orientées vers l’appui à la performance. En tant qu’industriel, je suis convaincu que « l’usine du futur » doit s’inventer en prenant appui sur les déterminants fondamentaux du bien-être au travail. Les ingrédients en sont bien connus : au-delà de l’indispensable écoute et du partage du sens des transformations en cours, la participation des salariés à la définition des solutions d’organisation, la conception de systèmes de travail préservant l’autonomie décisionnelle et les marges de manœuvre indispensables pour gérer les aléas, permettant aussi de développer les compétences et d’accompagner la polyvalence...

Or, cela tombe bien, cette « recette » du bien-être au travail c’est aussi celle de la performance et de la pérennité de nos entreprises dans leur environnement concurrentiel actuel.

L’ANACT, dont j’ai l’honneur de présider le Conseil d’Administration, a fait sienne cette devise : « les conditions de travail de demain sont les projets de transformation d’aujourd’hui ». On ne saurait mieux exprimer la portée de ce qui se joue autour de notre culture managériale et de la manière dont nous conduisons les projets de transformation. Si nous voulons faire évoluer cela, nous devons agir dès la formation initiale. Les managers et ingénieurs français restent encore trop peu armés face à la complexité du management du travail humain, en tout cas pour promouvoir un management responsabilisant. Heureusement les choses évoluent, car les attentes des jeunes générations ne sont plus les mêmes, et les entreprises ne peuvent plus l’ignorer. 

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