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Quels enjeux juridiques pour les voitures autonomes ?

Par Eve Renaud-Chouraqui, Avocat à la Cour, Cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats

Le développement aujourd’hui inéluctable des véhicules autonomes ne pourra faire l’économie d’une part d’un régime juridique autonome clairement défini, notamment au plan de la responsabilité, d’autre part d’un encadrement des données personnelles, véritable or noir des IoT (Internet of Things, Internet des objets) et notamment de la conduite autonome. Décryptage.

Les premières voitures autonomes ont fait leur apparition sur les routes du Nevada en 2012. Depuis, différentes réglementations nationales sont venues autoriser des tests de voitures autonomes. Aux Etats-Unis, 21 Etats ont déjà légiféré en ce sens. La Suède, l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, Singapour ou encore le Japon ont également adopté des lois similaires.

Au plan international, la Convention de Vienne sur la circulation routière du 8 novembre 1968 a été modifiée par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe le 23 mars 2016 afin d’autoriser expressément la circulation de véhicules autonomes sur les routes des pays adhérents, sous réserve que les systèmes autonomes « soient conformes au règlement des Nations Unies sur les véhicules ou qu’ils puissent être contrôlés, voire désactivés par le conducteur ».

En France, une ordonnance du 3 août 2016 autorise l’expérimentation des voitures autonomes sur la voie publique, sous réserve de la délivrance d’une autorisation par le Ministre en charge des Transports.

Toutefois, à l’heure actuelle, les textes restent silencieux sur les véritables enjeux associés aux voitures autonomes, notamment concernant les épineuses problématiques liées au traitement des données et à la responsabilité associée à de tels véhicules.

Quid des données à caractère personnel ?

La voiture autonome est une voiture ultra connectée, véritable centrale de traitement des données pour une large part à caractère personnel.

En effet, les technologies embarquées comprennent une interface homme-machine, des capteurs (fournissant des données notamment sur le fonctionnement interne du véhicule, son emplacement et son environnement extérieur), des actionneurs (désignant les organes du véhicule permettant le freinage, l’accélération, l’évitement d’obstacles), des systèmes embarqués de commande (permettant au véhicule de prendre des décisions et d’envoyer des ordres aux actionneurs) et enfin une intelligence artificielle (permettant de traiter les flux de données du véhicule et de l’environnement extérieur et d’activer les commandes).

En l’état, l’ensemble des données à caractère personnel sont soumises au respect de la loi Informatique et Libertés et très prochainement du règlement européen 2016/679 (RGDP) applicable dès mai 2018.

La CNIL, en concertation avec plusieurs acteurs du secteur et les autorités publiques, a publié, le 17 octobre 2017, au sein d’un pack de conformité « véhicules connectés et données personnelles », des lignes directrices aux termes desquelles est privilégiée une approche de protection des données dès la conception (« Privacy by Design ») : tout projet de voiture autonome doit intégrer, dès sa conception, des systèmes visant à assurer à la fois la sécurité et la confidentialité des données et l’information des personnes et la minimisation des données à traiter.

Quid en cas d’accident ?

D’un point de vue de la responsabilité associée aux voitures autonomes, un long chemin reste à faire.

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (dite « loi Badinter ») fait peser l’indemnisation en cas d’accidents de la route sur le constructeur de la voiture.

Non adaptée aux changements induits par les voitures autonomes (et notamment la perte de contrôle direct du véhicule par son conducteur), elle devra être adaptée ou modifiée.

Les Etats-Unis ont déjà avancé sur le terrain de la responsabilité : les lois du district de Colombia et des Etats de Floride et du Nevada, exonèrent le fabricant du véhicule en cas de défaillance du système autonome, sauf s’il l’a directement installé sur le véhicule ou si l’accident trouve sa cause dans une défaillance du véhicule indépendamment de la technologie autonome. Le responsable est le fabricant du système de conduite autonome. Par ailleurs, l’Etat de Californie a imposé aux sociétés effectuant les tests de voiture autonome de souscrire à une police d’assurance et une garantie de 5 millions de dollars.

La réglementation française prendra - t-elle exemple sur les lois américaines ? (1) La question reste à ce jour entière.

En attendant et en l’absence de réglementation spécifique, une chose est certaine : la dimension contractuelle prend une ampleur particulière afin que soient gérés, entre les acteurs impliqués dans les voitures autonomes, le risque d’indemnisation en cas d’accident et celui de la répartition de l’éventuelle réparation. 


1. V. récemment (12 septembre 2017) l’adoption par l’Administration Trump d’un texte tendant à favoriser la commercialisation de voitures autonomes aux Etats Unis :


https://www.reuters.com/article/us-usa-vehicles-selfdriving/u-s-to-unveil-revised-self-driving-car-guidelines-sources-idUSKCN1BG345

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