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“Proposer une stratégie IA au niveau national et européen”

Entretien avec Cédric Villani, Député de l’Essonne, 1er Vice-président de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST), Mathématicien

Quelle est votre définition de l’ntelligence artificielle ? Que recouvre cette notion ?

On s’aperçoit bien vite, quand on se plonge dans le sujet, qu’il n’y a pas de bonne définition de l’IA. Au début, dans les années 50, il s’agissait de reproduire par informatique le processus même de la pensée humaine. Mais par la suite, cela a désigné tout procédé informatique si sophistiqué qu’on l’aurait a priori cru réservé aux humains. C’est donc une définition variable, subjective et mouvante. Une autre approche consiste à dire que c’est un algorithme qui reproduit certaines caractéristiques que l’on attribue à la pensée : la capacité de trouver la meilleure solution dans un environnement complexe, ou bien celle d’apprendre de son expérience, ou encore celle d’explorer les possibles. Notre rapport sera attentif à expliquer ces différentes définitions et à donner des exemples.

Le Gouvernement vous a chargé d’une mission sur l’IA. En quoi consiste-t-elle, quel est son périmètre et son agenda ?

La mission consiste à proposer une stratégie IA au niveau national et européen. Ce qui est fascinant c’est la multiplicité des secteurs qui sont touchés : rien n’échappe à l’IA. Au-delà du secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi, ou du Premier Ministre Édouard Philippe, tous les ministères gagneront à se sensibiliser à l’IA. Nous devons être attentifs au lien social, ne nous interdire aucun levier pour jouer sur tous les tableaux : réglementaire, administratif, légal, culturel etc. Le calendrier est très serré puisque nous devons rendre notre copie en janvier ; mais il y a un tel enthousiasme autour de cette mission, que nous avons pu instruire le dossier à toute allure. En tenant compte aussi, bien sûr, des rapports qui ont précédé, comme ceux de France IA et l’OPECST.

Ce rapport de l’OPECST met en garde contre un risque de décrochage de la France en matière de recherche en IA. Partagez-vous cet avis ?

L’inquiétude est légitime mais il faut nuancer. D’une part, les chercheurs français en IA sont parmi les meilleurs du monde, et se retrouvent à bien des postes internationaux prestigieux. Mais d’autre part, beaucoup de nos jeunes chercheurs sont attirés par le secteur industriel ou les institutions étrangères. Nous devons redresser la barre en leur donnant plus de moyens, plus de possibilités d’expériences, bref plus d’avantages...

Quels sont les atouts et les faiblesses de la France dans le domaine de l’IA et de la robotique ?

Parmi les atouts : un haut niveau de recherche ; de grandes administrations publiques et privées, à un moment où la grande taille se traduit par de grandes bases de données, très utiles en IA "statistique", qui est la tendance la plus populaire actuellement ; mais aussi un haut niveau de culture et une certaine fierté à ouvrir le chemin. Cela sera important pour un sujet que toute la société doit s’approprier.

Et parmi les faiblesses... à coup sûr, la taille réduite du marché intérieur, les lourdeurs administratives et culturelles, et la faiblesse de notre économie IA par rapport à celle des États-Unis. Mais en compensation, il y a la possibilité de résonner en phase avec l’Europe, qui a la bonne taille critique !

Comme dans beaucoup de secteurs, l’argent est le nerf de la guerre. Quel financement pour l’IA ? Combien et où trouver le budget pour financer la recherche ?

Franchement, je ne crois pas que le budget de la recherche en IA soit un souci... la somme est faible par rapport à l’enjeu ! En la matière, il faut surtout protéger nos chercheurs dans ce domaine très convoité par les nations étrangères, pour cela il faudra être inventif. Mais la question beaucoup plus difficile est celle du financement de l’industrie de l’IA, c’est aussi celle de la réalisation et de la rentabilité économique des gigantesques plateformes de données qui constituent le vrai nerf de la guerre IA et que les géants américains puis chinois ont réussi à mettre en place. En fait, en matière d’IA, tous les angles comptent et l’on ne peut analyser la recherche sans évoquer l’économie, la politique, tout ! 

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