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“Il est urgent de saisir l'importance stratégique du maritime, l'un des seuls relais de croissance crédibles pour notre pays”

Par Jean-Marie Biette, Secrétaire général d'Infomer*

La mer est l'avenir de l'homme. Et ce n'est pas une simple formule : Avec plus de sept milliards d'habitants, neuf à l'horizon 2050, la terre ne suffit plus à nourrir et faire vivre l'humanité. Les trésors du futur sont en mer, qu'il s'agisse d'aliments tirés des algues, de molécules prometteuses pour nous soigner, de minerais rares pour accompagner les progrès technologiques ou encore de sources quasiment inépuisables d'énergies renouvelables et respectueuses de l'environnement.

L'histoire de l'humanité s'écrit déjà avec de l'encre bleue, mais nous sommes encore trop nombreux à l'ignorer. Savez-vous que 90 % de nos biens de consommation transitent par la mer. Idem pour l'Internet qui passe par des câble sous-marins.

Pourtant alertés par Jules Verne et le très sagace capitaine Nemo, nous connaissons mieux la surface de la lune que le fond des océans ! Aujourd'hui, Christophe Colomb n'irait pas découvrir l'Amérique, mais embarquerait, comme Jean-Louis Etienne, sur une drôle de capsule flottante comme le Polar Pod pour découvrir la faune et la flore marine dans l'océan austral, étudier ses capacités à absorber nos épouvantables pollutions en gaz carbonique.

La mondialisation est de fait une maritimisation. Et la France dispose d'immenses atouts pour y jouer les premiers rôles. Elle possède le deuxième territoire maritime mondial (Zones économiques exclusives) et un sillage économique dynamique avec des entreprises leaders dans de nombreux domaines, allant du transport maritime à l'exploration des richesses des fonds marins sans oublier la construction navale civile et militaire.

Mais l'équipage politique du bateau France ne suit pas vraiment, ou plutôt commence tout juste à sentir le vent du potentiel économique maritime.

A force de nier trop souvent sa géographie, à coups de reniements et de Trafalgar politiques, la France a partiellement manqué son destin d'entrée océanique de l'Europe.

Gouvernée par des « terriens » oubliant, une fois élus, quasi systématiquement l'essentiel de leurs promesses maritimes de campagne, la France ne sait pas encore accompagner son secteur privé, très en pointe dans le domaine. Avec un chiffre d'affaires de 71,9 milliards d'euros l'économie maritime représente plus de 300 000 emplois directs, sans compter le tourisme littoral (200 000).

Ce chiffre d'affaires est deux fois plus important que le secteur aéronautique ! Pire encore, si l'on compare les budgets du Cnes (Centre national d'études spatiales) et d'Ifremer (Institut français de recherches pour l'exploitation de la mer), il apparaît que la France consacre six fois plus d'argent à la recherche spatiale qu'à celle des océans. Et pourtant, le chiffre d'affaires du maritime est plus de dix fois celui du spatial.

Il est désormais urgent de saisir l'importance stratégique du maritime, l'un des seuls relais de croissance crédibles pour notre pays. On attend des décisions énergiques, un plan volontariste, afin de tirer durablement le meilleur profit, dans le respect de notre avenir, qui est celui de l'environnement, des atouts de la France et des immenses ressources dont regorge notre patrimoine maritime.

L'exemple des énergies maritimes renouvelables, partout considérées comme l'or noir du futur, est très parlant. La France n'y réalise que de timides débuts, malgré un potentiel hors du commun. Il y a urgence à passer des paroles aux actes. Nous étions sur la même ligne de départ il y a une quinzaine d'années, et nous avons déjà de gros retards sur des pays comme la Grande-Bretagne, le Danemark ou encore le Japon.

Qui seront les Richelieu et Colbert de demain ?

Pour assurer la sécurité de tous ces territoires maritimes français et leurs richesses, nous aurons besoin d'une Marine encore plus puissante et présente. Le pays des Jacobins et des conquêtes terrestres peut-il en comprendre l'enjeu ?

Qui seront les Richelieu et Colbert de demain ?

La France se targue ainsi de disposer de la deuxième zone économique exclusive, mais il convient de la protéger, au risque de se la faire piller, puis contester. L'exemple du contrôle des pêches en Guyane est à ce titre éloquent : notre Marine ne dispose que de deux malheureux patrouilleurs pour une zone de 200 000 kilomètres carrés. Cela revient à vouloir surveiller la France avec deux voitures de police. Le ratio est encore pire dans les terres australes et antarctiques françaises, et ne parlons pas de Clipperton !

Ce défaut bien français ne date pas d'hier, loin s'en faut. La France a toujours eu une culture paysanne et n'a jamais été, fondamentalement, un grand pays maritime. En tout cas vu de Paris ou de Versailles. On a toujours préféré le patrimoine et la sécurité à l'échange et au grand large.

La France a certes eu l'illusion d'être une puissance maritime en deux ou trois circonstances de notre histoire. Des monarques éclairés, Louis XIII avec Richelieu et Louis XIV avec Colbert, ont imposé aux forceps de se tourner vers la mer et le commerce.

Mais le désastre de Trafalgar a résonné comme le naufrage de tout un pays. Napoléon Bonaparte, vainqueur sur la terre ferme, y a connu un revers dont le pays ne pouvait se remettre. La France et ses vieilles lunes de forteresses Vauban et de lignes Maginot ont cru pouvoir imposer un blocus continental sans chercher à avoir la maîtrise des mers. Toujours cette propension coupable à préférer la pierre au vent… D'une certaine manière, quel que soit l'enchaînement des victoires dans toute l'Europe, Waterloo est né à Trafalgar.

Dans son dernier discours de président de la République, le 1er février 1969 à Brest, le Général de Gaulle a pourtant fixé clairement le cap : « L'activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l'exploitation de la mer. Et naturellement les ambitions des Etats chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources ».

L'homme du 18 juin appelait-il de ses vœux un plan maritime volontariste, à l'image de ceux ayant donné naissance à l'aéronautique ou au nucléaire ? En tout cas, ses successeurs à l'Elysée n'en n'ont fait aucun cas. Sauf en belles paroles suivies de trop peu d'actes. En 2009 au Havre, Nicolas Sarkozy appelait à réparer un « oubli historique, celui de la vocation maritime de la France ». Le 1er avril 2012 à Boulogne, le candidat François Hollande évoque la mer « comme un potentiel majeur pour l'avenir de la France », réitérant une promesse « forte », celle de la création d'un grand ministère de la mer. On sait ce qu'il est advenu depuis…

Est-il déjà trop tard ? La France a-t-elle définitivement manqué sa vocation maritime ? Sans doute pas, mais il y a urgence à agir concrètement et à cesser de remplir les ors et armoires de la République de nouveaux rapports sur la question.

Une équipe de France du maritime

La constitution d'une équipe de France du maritime, alliant public et privé sous l'égide du Secrétaire général de la mer, Vincent Bouvier, et du Président du Cluster maritime français, Frédéric Moncany de Saint-Aignan, est sans conteste un signal positif et encourageant.

Y sont rassemblés les représentants des filières économiques, les administrations concernées et les régions qui deviennent des acteurs économiques majeurs. Dans l'esprit de ce qui a été pensé et réussi dans le passé pour construire et développer les filières françaises de l'aérospatiale ou du nucléaire, l'équipe de France du maritime doit se structurer en mode projet et très rapidement mettre en place une plateforme opérationnelle où public et privé, avec les meilleurs experts dans chaque domaine, mèneront un travail collaboratif et inclusif permettant de lever les freins qui se présentent et soutenir les actions nécessaires au développement de notre économie maritime

Durant la campagne présidentielle 2017, la plupart des candidats ont vanté le potentiel maritime de la France et la nécessité de mettre résolument le cap vers la croissance bleue. Mais le temps est désormais à l'action, avec un enjeu économique et écologique de taille.

D'ici 2030, selon l'OCDE, l'économie maritime va globalement doubler et pèsera 3000 milliards de dollars. Il n'y a aucune raison que la France, si elle se mobilise, ne puisse doubler le poids de son secteur maritime.

On l'aura compris, La France sera maritime ou ne sera presque plus rien dans le concert des nations. 


* Infomer est le pôle mer du Groupe Ouest-France (le marin, voiles et voiliers, le chasse-marée, etc).


Jean-Marie Biette est l'auteur de « La mer est l'avenir de la France » (Editions de l'Archipel)

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