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“La France doit bâtir une flotte stratégique au service d'une filière industrielle maritime moderne”

Par Philippe Louis-Dreyfus, Président du Conseil de Surveillance du Groupe Louis Dreyfus Armateurs, Président du BIMCO*

Il faut tout d'abord lever une ambiguïté : quand on parle de transport maritime, il faut entendre ce terme au sens large. Nos amis anglo-saxons parlent plus volontiers de "shipping" que de "maritime transport". Le shipping regroupe naturellement tous les services de transports maritimes tels que le conteneur ou les vracs secs (minerais, …) et liquides (pétroles, gaz, …). Mais le shipping comprend aussi toutes les activités de services maritimes comme la pose de câbles de communication, les travaux maritimes de tous ordres (exploration et production d'hydrocarbures), l'assistance aux structures fixes ou flottantes, la recherche scientifique, etc… C'est un ensemble dont la cohérence est assurée en premier lieu par une population de spécialistes : les marins. Qu'ils naviguent au conteneur ou bien qu'ils opèrent des robots sous-marins par plus de 5 000 mètres de fond, ils reçoivent la même formation. Ensuite, cette cohérence est garantie par les navires eux-mêmes : qu'ils transportent du pétrole ou bien qu'ils assistent une plate-forme pétrolière en mer, ils sont soumis à la même réglementation, aux mêmes contraintes opérationnelles.

La France joue un rôle important dans ce shipping. Avec près de 100 000 emplois directs et indirects le shipping français assure une part importante des exportations de notre pays. La France compte de nombreux champions dans des domaines variés : CMA-CGM dans le transport de conteneurs, Bourbon dans l'activité de service à l'offshore pétrolier, Louis Dreyfus Armateurs dans les transports spéciaux ou la pose de câbles, Brittany Ferries dans le transport de passagers. Toutes ces entreprises ont fait le choix de conserver leurs sièges sociaux en France, ainsi que d'un cœur de flotte sous pavillon national, alors qu'ils opèrent dans une économie totalement mondialisée.

Pourtant cette réalité est menacée : le nombre de navires sous pavillon français, s'il a cessé de baisser, ne remonte pas. Si l'on compare le poids du shipping français rapporté à l'étendue de son territoire maritime et à l'importance que la mer devrait avoir dans l'économie française, il reste de nombreux efforts à faire. Pourquoi devons-nous considérer comme une question stratégique de redévelopper notre flotte ?

Je vois deux raisons impérieuses. La première est que la France doit bâtir une flotte stratégique au service d'une filière industrielle maritime moderne. Les bases légales d'une telle construction existent : grâce à la loi sur l'Economie Bleue, portée par le député Arnaud Leroy, le décret du 9 mai dernier pose les principes de cette flotte stratégique. Ce décret permet de lister toutes les activités que la France considère comme stratégique : approvisionnements (hydrocarbures, minerais, produits de première nécessité, …), services maritimes de première importance (par exemple pose et entretien des câbles sous-marins de télécommunication), etc… Il est nécessaire que ces services puissent être, le cas échéant, rendus par des navires que l'Etat puisse réquisitionner. Cela suppose que ces navires existent et qu'ils soient armés sous pavillon français par des équipages compétents.

La seconde raison, à mes yeux, concerne le développement des filières industrielles maritimes elles-mêmes. On parle beaucoup aujourd'hui du développement des énergies marines renouvelables. Mais comme notre pays est très en retard sur ce sujet par rapport à ses voisins européens, il peine à développer des filières de construction, d'installation et de maintenance de champs éoliens. C'est un mécanisme naturel : si vous entrez tardivement sur un marché, vous souffrez de deux handicaps majeurs par rapport à vos concurrents qui sont déjà présents. D'abord vous ne pouvez présenter de références à vos clients et ensuite vous ne bénéficiez pas des économies d'échelles qui sont permises par vos activités existantes. Vous êtes ainsi plus cher et moins crédible, deux handicaps particulièrement lourds dans un cadre concurrentiel classique ! L'enjeu est pourtant fondamental. Pour maintenir un nombre suffisant de navigants comme je viens de le rappeler, mais aussi pour que la France soit capable d'exporter ses services maritimes. Je suis convaincu qu'aucune entreprise ne peut avoir une quelconque chance d'exporter ses produits et ses services si elle n'a pas au préalable constitué un solide socle de références sur son marché naturel, la France.

Afin de redynamiser la marine marchande française, il existe des pistes de réflexion, par exemple : constituer des groupements d'entreprises pour initier la construction de nouvelles filières maritimes industrielles ; adapter les dispositifs de soutien à l'investissement maritime ; moderniser le droit du travail maritime ; rattacher les transports au Ministère de l'Economie en lieu et place d'une tutelle contre nature, celle du Ministère de l'Ecologie ; lancer un processus de réflexion sur le pavillon européen ; faire que la France assume pleinement son rôle de leader au sein des organisations internationales maritimes, … 


* Plus grande organisation internationale d'armateurs


www.lda.fr - www.bimco.org

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