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Objets connectés, une filière en devenir

Lorsqu’il s’agit de parler des objets connectés, les députées Laure de La Raudière et Corinne Erhel sont enthousiastes. Pour les deux élues, il est indéniable que l’Internet des objets est un enjeu majeur sur le plan économique qui aura également de nombreuses implications dans notre vie quotidienne de demain. Un virage à ne pas rater pour la France.

Internet connaît une extension inédite en connectant non seulement les gens entre eux mais également les personnes aux objets et les objets entre eux. En 2016, on estime à 6,4 milliards le nombre d’objets connectés dans le monde. Dès 2020, il pourrait y en avoir entre 30 et 50 milliards. Des estimations prometteuses qui laissent songeur. Le potentiel de l’Internet des objets dont il reste énormément à explorer laisse imaginer aux deux rapporteures* que l’on pourrait être « à l’aube d’une nouvelle révolution technologique ». Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette explosion des objets connectés. Les avancées technologiques récentes sont l’un des premiers facteurs avec la miniaturisation des microprocesseurs, des semi-conducteurs et autres composants électroniques qui sont à la base de la technologie des objets connectés. A ces innovations, il faut ajouter « le développement massif de l’informatique en nuage – cloud computing – associé à une puissance de calcul et de traitement des données inégalé – le big data », qui participent « de cette nouvelle donne technologique » complète Corinne Erhel. Autre facteur, l’accessibilité financière qui progresse (vraiment ?) et qui rend plus accessible au grand public ces objets. Une demande est également apparue « pour des objets au design élégant qui prolongent l’utilisation courante du smartphone et qui améliorent notre confort au quotidien ».

Des marchés qui « gagnent en maturité »

Enfin, les marchés des objets connectés, qu’il s’agisse de ceux des entreprises ou de ceux des consommateurs finaux « gagnent en maturité ». En termes d’enjeux économiques, « Il y a, explique Laure de La Raudière, le potentiel de création de valeur de ces objets connectés et la plus-value que présente les données collectées par les objets connectés eux-mêmes ». Pour ce qui est du potentiel de création de valeur des objets connectés, plusieurs études montrent que l’Union européenne gagnerait jusqu’à 7 points de PIB, soit 1000 milliards d’euros d’ici à 2025. Une estimation qui est fondée sur la vente des objets connectés, de la montre au compteur électrique intelligent ou du capteur placé sur une chaîne de production mais aussi des services fournis via des objets connectés (surveillance à distance, pilotage de lignes industrielles, etc.). Mais, souligne Laure de La Raudière, « la création de valeur sera surtout indirecte, sous la forme de gains de temps […] A terme, l’Internet des objets devrait permettre une augmentation de la compétitivité de notre industrie ».

Une création de valeur « surtout indirecte »

Pour ce qui est de la création de valeur, la co-rapporteure estime que ce sont les politiques publiques qui devraient être les « grandes bénéficiaires de l’Internet des objets ». Et de citer la ville connectée qui « va résoudre des problèmes sociaux et environnementaux (lutte contre les pollutions, gestion des ressources, décongestion des villes, etc.) » et les politiques sociales et de santé publique « qui vont pouvoir se reconfigurer autour des données que les individus mesureront en temps réel et mettront à la disposition des personnes publiques et des personnels de santé pour suivre et analyser leur état de santé » (La recommandation 13 du rapport préconise le remboursement partiel par la Sécurité sociale des objets connectés qui contribueraient à une politique de prévention). Pourtant sur ce point les avis divergent. « Ne risque-t-on pas, sous prétexte d’améliorer la prise en charge des patients, de passer d’une médecine préventive à une sorte de dictature médicale ayant pour corolaire la fin de la mutualisation des risques, remplacée par une tarification personnalisée ? » se demande, inquiet, Yves Daniel.

Le potentiel économique et social des données du big data

Les deux élues se disent également convaincues que le potentiel économique et social des données du big data est encore plus important avec le développement exponentiel des objets connectés et alors que nous assistons à un essor exponentiel du volume des données disponibles, mais aussi des services pouvant être fournis sur la base de l’exploitation de ces données – « des services dont les consommateurs sont très demandeurs ». Au-delà du gain de productivité attendu par l’exploitation des données des objets connectées, les élues estiment encore que ces données vont permettre « de concentrer le modèle économique des industries vers les services, qui sont au cœur de l’industrie du futur ». « La vision d’un mode de production où l’industrie et les services sont deux secteurs bien distincts est maintenant dépassée » assure Laure de La Raudière. « Ce recentrage de la valeur économique sur les services suppose que les entreprises industrielles s’approprient les données que les objets industriels permettent de collecter, ce qui constitue une véritable révolution culturelle pour les industries françaises » admet la députée LR. Sur ce point, les co-rapporteures formulent deux recommandations. L’une consiste à renforcer « substantiellement » les moyens alloués au plan de l’Industrie du futur dénommé « Économie de la donnée » via « le lancement de plusieurs appels à manifestation d’intérêt dans ce domaine ». L’autre recommandation consiste à inciter les universités à développer des formations de sciences de la donnée, aujourd’hui cantonnées aux grandes écoles d’ingénieurs « alors qu’elles auraient vocation à être démocratisées sur l’ensemble du territoire, afin de répondre aux besoins futurs des industries ».

Une influence positive sur notre vie sociale

Pour les rapporteurs, il ne fait également aucun doute que « l’Internet des objets [va] dans les années à venir transformer notre quotidien » et « influer de façon positive sur notre vie sociale ». « En contribuant à relier des personnes entre elles au travers de leurs objets connectés, il crée du lien social, notamment pour les plus jeunes générations marquées par le développement des réseaux sociaux » croit fermement Corinne Erhel. Un avis que ne semble pas totalement partagé Yves Blein qui reste dubitatif quant à « l’impact social et au lien créés ». « On peut à l’inverse, estime-t-il, se demander si les objets connectés n’aboutissement pas parfois à une véritable déconnexion du citoyen du monde réel ». « L’impact social des objets n’est pas univoque ». Ils peuvent porter « en germe des risques d’exclusion » reconnaît Corinne Erhel qui, sans angélisme, pointe d’autres risques comme celui d’une dépendance technologique. Si l’on n’y prend garde, « la pratique de l’auto-mesure pourrait se traduire par un enfermement dans une représentation statistique de soi, voire conduire à une addiction à la mesure » explique-t-elle. Il y a aussi le respect de la vie privée qui peut se trouver remis en question « face à la captation et à un partage massif » des données personnelles par les objets connectés « sans que l’utilisateur n’exprime clairement son consentement ».

Des freins à lever

Enfin, dernier écueil et pas des moindres, la question de la couverture numérique du territoire qui est « insatisfaisante » et qui peut « empêcher le développement équilibré de l’Internet des objets sur tout le territoire ».

Au fil de leur mission et de leurs auditions, les deux élues en sont ressorties avec l’intime conviction que la France peut « légitimement prétendre à une position d’avant-garde dans cette révolution des objets connectés ». Elle dispose pour cela « d’un véritable dynamisme entrepreneurial souvent tourné vers l’innovation » explique Corinne Erhel, même si, tempère Laure de La Raudière, « il existe quelques freins à lever ». Les start-up par exemple ont encore du mal à s’inscrire dans une croissance durable : elles ont du mal à réussir des levées de fonds importantes ; elles ont aussi du mal « à maîtriser un environnement réglementaire qui se complexifie ». Autre point d’attention : le développement d’infrastructures de réseaux performants sur tout le territoire, comme avec le retard pris sur le Très Haut Débit. Un autre frein concerne, insistent les deux élues, « l’environnement administratif et fiscal français ».

« Les risques et les craintes légitimes que suscitent les objets connectés ne doivent pas être sous-estimées, mais évaluées avec tout le recul nécessaire » concluent les deux élues qui souhaitent que soit apportée « une réponse proportionnée et adaptée à ces enjeux ». Elles en appellent à la mise en œuvre d’une « régulation politique axées sur la responsabilité personnelle des utilisateurs (mesures pédagogique spécifiques) ainsi que sur une régulation souple et évolutive introduite par les pouvoirs publics »


* Rapport d’information n°4362 de Laure de La Raudière et Corinne Erhel sur les objets connectés – Commission des Affaires économiques

 

Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Internet des objets se définit comme « l’infrastructure mondiale pour la société de l’information, qui permet de disposer de services évolués en interconnectant des objets (physiques ou virtuels) grâce aux technologies de l’information et de la communication interopérables existantes ou en évolution ».

 

Une filière qui a de l’avenir
• 430 millions d’euros de chiffre d’affaires pour les objets connectés en France (de janvier à septembre 2016)
• 740 000 montres connectées vendues en France en 2016
• 30 objets connectés par foyer d’ici à 2020
• 30 milliards d’objets connectés dans le monde
• 293 millions de wearables (vêtements et accessoires intelligents) vendus dans le monde en 2016
Sources : GFK, GARTNER, OPINION WAY

 

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