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Le partenariat public-privé dans le secteur de la Défense peut-il renaître de ses cendres ?

Par Guillaume Farde, Maître de conférence à Sciences Po, Spécialiste des questions économiques relatives à la sécurité et à la Défense*

Le 17 juin 2004, la publication de l’ordonnance relative au contrat de partenariat public-privé est un acte de rupture. Dans un pays de tradition étatiste où la personne publique prend le pas sur son cocontractant, l’unilatéralisme était la règle et le partenariat l’exception. En 2004 pourtant, l’État a renoué avec l’idée partenariale, importée des contrats privés. Le contrat de partenariat public-privé, renforcé par la loi de modernisation de 2008, introduisait l’idée de démarche coopérative. Il visait à l’instauration d’une véritable logique gagnant-gagnant, allant jusqu’à consacrer l’existence juridique de l’initiative spontanée, bousculant au passage le principe séculaire de l’autodétermination des besoins publics en droit de la commande publique français.

Dans le secteur de la Défense, le partenariat public-privé a été initialement perçu comme un possible levier de financement de l’outil de défense français, dans un contexte budgétaire contraint. Il devait permettre la réalisation d’économies conséquentes selon une démarche résolument innovante : le passage de l’acquisition patrimoniale à l’achat d’un service. Dès la publication de l’ordonnance, le ministère de la Défense a été le plus proactif. Plusieurs projets ont été lancés et le plus emblématique d’entre eux, Hélidax, attribué au groupement DCI-INAER, voit le jour début 2008. Plusieurs projets sont ensuite rapidement identifiés. Ils débouchent sur la notification des contrats de partenariat dits Hélidax, Balard, RDIP Air, Roc Noir, CNSD et ISAE, soit un total de six contrats à la fin de la XIIIème législature. Parmi eux, seul le contrat de partenariat dit Hélidax se distingue par ses performances. Il est à ce jour, le seul contrat de partenariat de service dans le domaine équipementaire.

Aujourd’hui, l’élan est retombé. Les deux derniers projets de contrat de partenariat encore en phase de passation au début de la XIVème législature – les projets dits RoRo et BSAH – ont été abandonnés. Pour sa part, le ministère de l’Intérieur n’a signé qu’un seul contrat – le projet dit 1 000 caméras – et ne prévoit pas d’avoir de nouveau recours à ce type de contrat dans l’immédiat. En parallèle, hormis les deux initiatives spontanées formulées par la société Vitruve Defence & Security et celle déposée en mai 2013 par les groupes NEXTER et Thales, les ministères de l’Intérieur et de la Défense n’ont pas déclaré avoir été massivement saisis par des entreprises privées au titre de l’article 10 de l’ordonnance du 17 juin 2004. L’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a, depuis, abrogé l’ordonnance du 17 juin 2004. Le contrat de partenariat n’est plus que l’ombre de lui-même. L’initiative spontanée n’a quant à elle, pas survécu.

Cet échec du recours au contrat de partenariat public-privé en matière de sécurité publique et de défense nationale est d’autant plus paradoxal que l’abandon momentané de cet outil n’annule pas pour autant les besoins des ministères régaliens. L’absence de recours à l’externalisation en général et au partenariat public-privé en particulier, les conduit à se couper de sources de financement privé au moment où précisément, les ressources publiques se raréfient. À l’heure où les dépenses d’équipement pourraient faire l’objet de nouvelles coupes claires, seul le modèle partenarial permettrait de dégager des marges de manœuvre. Ce passage d’une logique patrimoniale à une logique capacitaire éclaircirait, en théorie, des horizons que les acteurs du secteur de la Sécurité et de la Défense perçoivent légitimement comme assombris. C’était là l’ambition des sociétés de projet/services annoncées par le ministre de la défense au printemps 2015. Elles sont mort-nées.

A partir de mai 2017 pourtant, le ministère de la Défense devra procéder à des arbitrages budgétaires. Les crédits disponibles seront prioritairement alloués aux missions opérationnelles et les fonctions support pourraient alors faire l’objet d’externalisations au profit d’opérateurs privés. Le recours à l’externalisation permet de maîtriser les coûts de possession des matériels militaires en transférant une part des risques d’exploitation au secteur privé. Le succès de ces opérations dépend ensuite de la capacité de l’opérateur privé à mutualiser les équipements et à proposer un service plus efficient.

Les missions de formation, en ce qu’elles mobilisent des équipements rarement projetés en opération extérieure et plus aisément mutualisables, présentent les caractéristiques les plus favorables à l’externalisation, tant en matière de mise en œuvre que de gisements d’économie.

Car, malgré le relatif consensus de la classe politique sur la préservation de l’outil de défense dans un contexte de lutte contre le terrorisme, l’équilibrage du budget de la Défense reste un exercice difficile. La problématique n’est pas neuve : de 1985 à 2015, le budget de la Défense en France a diminué de 20 % en euros constants. Le financement de la Loi de programmation militaire n’a pu être assuré que par des crédits budgétaires mobilisés en urgence à la suite des attentats du 11 janvier 2015. Au-delà, le futur Ministre de la Défense aura à trouver des financements budgétaires ou extrabudgétaires. A cet égard, le respect du contrat opérationnel ne sera possible que par le passage progressif d’une logique patrimoniale à une approche capacitaire. Dans un contexte où les dépenses de maintien en condition opérationnelle ne cessent de croître, la pleine propriété de l’ensemble des équipements militaires n’est pas économiquement rationnelle. L’acquisition patrimoniale doit être réservée aux acquisitions les plus lourdes tandis que la fourniture des équipements plus légers doit être assurée par des opérateurs privés en privilégiant le modèle locatif.

L’approche capacitaire permet le transfert d’une part du risque d’exploitation au partenaire privé. La mise à disposition des équipements est modulée selon le besoin des forces dans le temps et le ministère de la Défense annule ainsi une partie des coûts liés à l’entretien-maintenance et à la sous-utilisation de certains matériels. Ce risque économique transféré au secteur privé est compensé par la mutualisation des équipements. Pour les équipements duaux (notamment aéronautique), l’existence d’un marché civil permet la réalisation de revenus complémentaires qui minorent le coût d’utilisation dont s’acquittent les forces armées. Pour les équipements non duaux, la mutualisation peut résulter de leur usage par des armées de pays amis de la France dans le cadre d’actions de formation. Ce dernier usage fluidifie les relations commerciales entre les industriels et les Etats clients/prospects de la France.

La viabilité économique de l’externalisation ne peut s’envisager qu’en plaçant la notion de service au cœur des projets. L’esprit du partenariat public-privé, archétype du contrat de service, plane encore. Les contrats d’externalisation ne doivent pas se limiter à une simple obligation de moyen mais, au contraire, doivent comporter de strictes obligations de résultat. Le partenaire privé vend au ministère de la Défense la disponibilité d’une prestation globale (mise à disposition de l’actif, maintenance, gestion des consommables et des rechanges, etc.) et des clauses de pénalités sanctionnent le non-respect des obligations de disponibilité prévues au contrat. Le service étant à la fois sanctuarisé, global et assorti d’obligations de résultat, les craintes de dépossession exprimées par les forces sont logiquement de bien moindre ampleur.

L’exemple d’Hélidax, contrat de partenariat public-privé notifié à DCI en janvier 2008 et doublement salué par les armées et la Cour des comptes, prouve que les synergies public-privé sont possibles dès l’instant où les armées savent qu’elles achètent un service de qualité. Le succès d’HéliDax démontre que l’externalisation du soutien à la formation pour des actifs duaux et aisément mutualisables dans le cadre d’un partenariat public-privé maîtrisé, est une source d’économie qui ne compromet pas les capacités opérationnelles des forces. Cet exemple pourrait être décliné au profit de centres de formation qui disposent d’équipements dédiés et rencontrent des problématiques analogues.

En cette année d’élection, au-delà des partenariats public-privé eux-mêmes, c’est la coproduction de sécurité et de défense qui est en question. Dès lors que l’instauration d’une démarche partenariale présente des difficultés de mise en œuvre et des résultats contrastés, la préférence du recours au marché au terme de l’arbitrage entre faire et faire-faire est plus que jamais centrale. L’analyse du recours au contrat de partenariat public-privé dans les secteurs de la sécurité et de la défense démontre que le recours à l’externalisation commande la circonspection et l’analyse casuistique. L’externalisation reste un processus à risques qui, s’il ne doit pas être érigé en une sorte de totem, ne doit pas non plus être vécu comme un tabou. C’est là tout le sens du chantier auquel devront se consacrer les futurs ministres de la Défense et de l’Intérieur, à compter de mai 2017. 


* Docteur en sciences de gestion, Guillaume Farde est maître de conférence à Sciences Po où il assure la direction scientifique de la filière sécurité-défense de l’Ecole des affaires publiques. Spécialiste des questions économiques relatives à la sécurité et à la défense, il est l’auteur de l’essai Externaliser la sécurité et la défense en France, paru en novembre 2016 aux éditions Hermann. Guillaume Farde est également managing partner du cabinet de conseil Althing sécurité et intelligence économique.