Print this page

Les voix de la France à l'étranger

Qui sont nos ambassadeurs ? Avec 178 ambassades et représentations permanentes, la France possède le 3ème réseau diplomatique mondial. Après une enquête de trois ans, Christian Lequesne dresse le portrait de ces hommes et de ces femmes qui sont à l’étranger la voix de la France, acteurs de la politique étrangère française. Portrait.

Le premier tour de l’élection présidentielle est dans quelques semaines. Plus de temps à perdre pour quitter et/ou prendre un poste à l’étranger. Au Palais de l’Elysée on peaufine justement les dernières nominations avant le départ programmé du Chef de l’Etat. Au dire de certains observateurs, jamais, sous la Vème République on n’avait connu de tels changements. C’est le magazine Challenge qui le premier a éventé ce jeu de chaises musicales diplomatiques au sein des chancelleries et pas des moindres. Berlin, Washington, Moscou, Alger, Le Caire devraient connaître d’ici quelques jours le nom de leur nouveau locataire. Il en est ainsi aux Etats-Unis. Gérard Araud qui avait été nommé par Nicolas Sarkozy en juillet 2014 devrait céder sa place à l’ancien Sherpa de Jacques Chirac, Maurice Gourdault-Montagne, actuellement ambassadeur de France en Chine. Gérard Araud avait provoqué une mini crise diplomatique après avoir posté une série de tweet rageurs contre l’élection de Donald Trump - « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige » avait-il écrit avant de le supprimer -. Pas vraiment le discours que l’on est en droit d’attendre d’un diplomate. Plus vraiment en odeur de sainteté à Washington, son temps était compté. Dans ce Mercato diplomatique, on annonce également l’arrivée à Moscou de Philippe Étienne, aujourd’hui ambassadeur de France en Allemagne et celle de Jean-Maurice Ripert qui quitterait Moscou pour Pékin. Tous deux sont issus de la promotion Voltaire de l’ENA dont est issu François Hollande. Enfin, on annonce la nomination d’Anne-Marise Descôtes au poste d’ambassadrice de France en Allemagne. Anne-Marise Descôtes occupe actuellement le fauteuil de directrice de la mondialisation au Quai d’Orsay. Elle a en charge la diplomatie économique de la France qui s’occupe aussi bien de la culture, de l’enseignement que du développement international.

Reste cependant que les mêmes observateurs soulignent le côté incongru des nominations de Maurice Gourdault-Montagne (Washington) et de Jean-Maurice Ripert (Pékin), tous deux nés en 1933 et bientôt atteint par la limite d’âge. Ils ne devraient donc occuper leur poste respectif que deux courtes années. Ce qui est bien peu pour des pays aussi importants que les Etats-Unis ou la Chine. Au Quai d’Orsay, on balaie la critique d’un revers de main, expliquant très simplement que tout cela fait partie du renouvellement normal du personnel diplomatique qui veut qu’un ambassadeur ne reste pas en poste plus de quatre années. Dont acte.

Mais finalement qui sont ces diplomates, au service de la France ? Après une enquête de trois ans, Christian Lequesne, professeur de Sciences politique à Sciences Po Paris tente de nous apporter des éléments de réponses dans son livre « Ethnographie du Quai d’Orsay » (CNRS éditions). Il dresse le portrait de ces hommes et de ces femmes qui sont à l’étranger la voix de la France, acteurs de la politique étrangère française.

Portrait de diplomate

L’habitude d’envoyer des ambassadeurs résidents remonte à François 1er, au début du XVIème siècle. Les diplomates, en France comme en Europe, sont alors très majoritairement issus de l’aristocratie « qui pratique la cooptation en faisant valoir les liens familiaux, patrimoniaux et d’éducation » explique l’auteur. Les choses changent (un peu) avec la Révolution et l’Empire en permettant à la bourgeoisie d’y trouver une place. Mais à cette époque encore, la diplomatie reste « le plus aristocratique des grands corps de l’Etat ». Sous le Second Empire, 70 % des ministres plénipotentiaires sont issus de l’aristocratie (ou assimilés). L’esprit de la IIIème République va mettre à bas l’idée de cooptation « jugée négativement » par les Républicains. Un décret du 10 juillet 1880 instaure un grand concours d’entrée obligatoire pour la carrière diplomatique. Pour s’y présenter, il faut être titulaire d’une licence et de passer des examens. Pour autant, si ouverture il y a, elle n’est pas totale. L’aristocratie fait de la résistance, entre 1871 et 1914, 44 % des cadres sont encore d’essence noble (ou d’apparence). La création de l’Ecole Nationale d’Administration, pièce maîtresse de la réforme de la fonction publique d’Etat met fin au seul recrutement des diplomates par la voie du « grand concours ». En 2017, pas moins de sept concours permettent d’intégrer le Quai, soit par la voie externe, soit par la voie interne.

Une carrière par défaut ?

Si le choix d’embrasser la carrière de diplomate est souvent une évidence pour les élèves ayant choisi les Langues O, le choix est moins automatique pour les élèves de l’ENA. Ils choisiront le Quai comme ils auraient pu choisir le Conseil d’Etat, la Cour des comptes. Un grand corps de l’Etat comme un autre. Parfois même par défaut, n’ayant pu obtenir le corps convoité. Et Christian Lequesne de citer les propos d’un haut fonctionnaire : « Je n’étais pas subjugué par la diplomatie, j’aurais préféré le Conseil d’Etat ». Voilà qui a le mérite de l’honnêteté. Quoiqu’il en soit, la vocation de la diplomatie est souvent née à l’issue d’une première expérience enthousiasmante à l’étranger en ambassade ou auprès d’une ambassade (service militaire en coopération, premier emploi dans le réseau culturel français). Et puis, cela n’étonnera personne, il y a aussi le côté « grisant » de « pouvoir faire un métier dans lequel vous représentez l’Etat » reconnaissent, sans se cacher derrière leur petit doigt quelques interlocuteurs de l’auteur. « Choisir d’entrer dans la carrière diplomatique, souligne en fin de compte Christian Lequesne, c’est croire encore au pouvoir que confère au fonctionnaire, la représentation de l’Etat dans les relations internationales ».

Quant au profil des « diplomates », il n’a pas été facile à l’auteur de le dresser. Mais après avoir obtenu de l’administration et des Ressources humaines du Ministère des Affaires étrangères qu’un questionnaire soit adressé aux fonctionnaires de rang, quelques points saillants ont pu ressortir. « Les diplomates sont en majorité issus des classes moyennes et supérieurs de la société française » indique Christian Lequesne. Leurs parents sont hauts fonctionnaires, professeurs d’université ou de secondaire, avocats, médecins, ingénieurs, cadres du privé. « Les fils d’ouvrier ou de petits employés, s’il y en a sont rares » ajoute-t-il. « La répartition entre Parisiens et Provinciaux est pour sa part assez équilibrée. Finalement, l’origine sociale des cadres du Quai d’Orsay reflète ni plus ni moins celle des autres cadres de la haute fonction publique française. On ne peut plus parler en 2017 de spécificité sociale très marquée au Quai d’Orsay ». On est loin de l’imaginaire collectif qui fait du diplomate, un fils de diplomate. Sans compter que les diplomates ne veulent pas forcément voir leur progéniture embrasser la même carrière qu’eux en raison des contraintes sur leur vie privée mais aussi et surtout en raison de la baisse continuelle des moyens du Ministère.

53 % de femmes mais à des postes d’exécution

Et les femmes, dans tout ça ? Où sont-elles ? Combien sont-elles au Quai ? La carrière diplomatique a été officiellement ouverte aux femmes en 1928. A cette date, les femmes se sont vues ouvrir le droit à passer le concours d’entrée. Il faut attendre 1930 pour voir la première femme réussir le concours. La première femme ambassadeur de France date de 1972. Marcelle Campana occupera le poste à Panama. A partir de 2012, le Ministère mettra en oeuvre une politique de promotion des femmes diplomates aux postes de responsabilité. Mais les hommes continuent à occuper les postes les plus élevés. Au 1er janvier 2013, on comptait 53 % de femmes travaillant pour le Quai d’Orsay. Si elles sont majoritaires, elles le sont aussi dans les postes d’exécution (68 % sont des agents de la catégorie C et 30 % des agents de la catégorie A). En 2013, on recensait 23 femmes ambassadeurs (14 %). Elles sont 48 en 2015 (30 %). 

 

Après une enquête de trois ans menée au sein des institutions et auprès des agents, Christian Lequesne nous ouvre la « boîte » du Quai d’Orsay, et nous en décrypte ses codes et ses pratiques. Ni monographie détaillée des différents services du ministère des Affaires étrangères, ni série d’anecdotes croustillantes sur ses dysfonctionnements, cet ouvrage est une plongée dans le quotidien des diplomates.
Ethnographie du Quai d’Orsay - Les pratiques des diplomates français - Christian LEQUESNE – CNRS éditions

 

Le réseau diplomatique français c’est :
• 132 ambassades + 2 antennes diplomatiques
• 16 représentations permanentes auprès des instances multilatérales
• 91 consulats généraux et consulats
• 133 sections consulaires d’ambassades
• 98 instituts français
• 384 alliances françaises conventionnées
• 213 espaces campus France
• 27 Instituts français de recherche
• 137 missions archéologiques françaises
Au 1er janvier 2015, on compte au Ministère des Affaires étrangères 14234 agents.
• 5868 sont des fonctionnaires titulaires de leur poste,
• 2867 contractuels,
• 4941 employés selon le droit local étrangers
et 659 militaires.
En baisse de 12 % depuis 10 ans.

 

1902 K2_VIEWS