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Adapter la fiscalité des héritages aux enjeux du XXIème siècle

Par Clément Dherbécourt, docteur de l’école d’économie de Paris, expert à France Stratégie

Depuis une vingtaine d’années le patrimoine des ménages augmente plus rapidement que leur revenu disponible et il se concentre de plus en plus aux âges élevés. Les transmissions de patrimoine sont en forte en augmentation et continueront d’augmenter à l’avenir du fait du décès des générations du Baby-boom, plus nombreuses et plus riches que les générations précédentes. Enfin l’âge moyen à l’héritage ne cesse d’augmenter ce qui empêche les générations les plus jeunes d’accéder au patrimoine, et donc d’investir. Ces évolutions économiques et démographiques rendent nécessaire une réflexion d’ensemble sur l’architecture de la fiscalité des héritages en France.

L’impôt sur les successions reste méconnu de nos concitoyens. Deux chiffres du barème de l’impôt structurent le débat public : 100 000 euros – soit le niveau de l’abattement sur les héritages en ligne directe - et 45 % - le taux d’imposition maximal en ligne directe. Ces deux chiffres donnent l’impression d’une fiscalité forte à partir de montants relativement peu élevés. En réalité le taux d’imposition moyen sur les actifs transmis aux enfants est d’environ 3 % aujourd’hui. Selon les estimations de France Stratégie (1) 85 % des parts transmises en ligne directe sont exonérées d’impôt, le taux d’imposition est inférieur à 10 % pour 99 % des héritages en ligne directe (montant transmis inférieur à 650 000 euros) et inférieur à 25 % dans 99,9 % des cas (montant transmis inférieur à 2,8 millions d’euros). Les taux affichés par le barème ne correspondent donc pas à la réalité de l’impôt. Par ailleurs – et c’est un fait peu connu - 50 % des recettes fiscales de cet impôt (12,8 milliards de droits de mutation à titre gratuit en 2016) est payé par les 10 % des transmissions en ligne indirecte, taxée à des taux très élevés même pour des montants faibles.

En dépit de nombreuses réformes spécifiques l’architecture d’ensemble de la fiscalité des transmissions a peu évolué depuis 200 ans. Elle repose toujours sur une loi de la fin du XVIIIème siècle – qui a créé l’impôt sur les parts d’héritage – réformée au début du XXème siècle pour introduire un principe de progressivité. La dernière grande réforme est celle de 1955 qui a créé le principe de l’abattement, soit un montant d’héritage en franchise d’impôt.

Le contexte démographique et économique actuel et à venir invite à reconsidérer cette construction. Les réformes fiscales ne peuvent plus se limiter à faire évoluer à la hausse ou à la baisse le niveau de l’abattement, comme cela a été le cas depuis une dizaine d’années. Plusieurs dimensions doivent être modifiées si l’on veut bâtir un impôt plus juste et qui favorise les transmissions aux jeunes générations.

En outre, les pouvoirs publics devront avoir accès à des informations plus régulières et plus complètes sur les transmissions afin d’adapter la législation aux évolutions à venir. Il apparaît donc nécessaire de disposer à nouveau de la distribution annuelle des successions et des donations comme c’était le cas en France jusqu’en 1964.

Trois options de réforme sont proposées dans la note d’action critique de France Stratégie Comment réformer la fiscalité des successions ? La première consiste à conserver l’architecture actuelle de la taxation des transmissions en corrigeant autant que possible ses défauts. Dans ce cadre, l’abattement sur les successions pourrait baisser par rapport à celui sur les donations pour inciter aux transmissions anticipées. Le régime des exonérations sur certains actifs – notamment l’assurance-vie – pourrait également être revu. La deuxième option consiste à refonder l’architecture de l’impôt du point de vue de l’héritier, en mettant en place un impôt sur le patrimoine hérité au long de la vie. Ce système présenterait l’avantage de s’assurer qu’un héritier qui reçoit plus au cours de sa vie paye un taux plus élevé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cette deuxième option serait complétée par une exonération sur les sommes reçues par les jeunes héritiers. Les donations seraient ainsi favorisées, de même que les legs par testament des grands-parents à leurs petits-enfants. Ces deux premières options ne concernent que les familles possédant un patrimoine suffisant pour réaliser des transmissions. Une troisième option est donc envisagée qui consiste à mettre en place un impôt négatif, sous la forme d’une subvention aux petites transmissions ou d’une dotation universelle au 18ème anniversaire. Cette mesure représenterait toutefois un coût pour les finances publiques ; elle pourrait être financée par la fiscalité des transmissions. 


Peut-on éviter une société d’héritiers ? Note d’analyse de France Stratégie, janvier 2017

 

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