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Comment éviter une société d'héritiers ?

Pour des raisons démographiques - augmentation de l’espérance de vie, et décès des générations du Baby-Boom -, et pour des raisons économiques - patrimoine qui augmente plus vite que les revenus -, la question de la transmission du patrimoine et de sa fiscalité doit devenir un enjeu majeur pour la société française juge France Stratégie dans une note intitulée « Peut-on éviter une société d’héritiers ? »*. Résumé.

“Avec l’arrivée progressive des baby-boomers aux âges de décès, les successions vont augmenter en valeur mais aussi en nombre” constate froidement France Stratégie faisant de la transmission du patrimoine un enjeu majeur dans les décennies qui viennent. Si, entre 1980 et 2015, la valeur réelle du revenu disponible des ménages français a augmenté de 77 %, passant de 719 à 1 275 milliards d’euros 2015, dans le même temps, leur patrimoine a été multiplié par trois, passant de 3 500 à 10 600 milliards d’euros 2015. « Le patrimoine net représente désormais 8 années de revenu disponible des ménages, contre 4,5 années au début des années 1980 » indique Clément Dherbécourt, l’auteur de l’étude. Si France Stratégie considère que cette augmentation du patrimoine des Français n’est pas sans lien avec la hausse récente de la valeur des biens immobiliers, « sur les trente-cinq dernières années, c’est bien une financiarisation du patrimoine que l’on observe » (assurance-vie, actions, etc.).

Il ressort de tout cela que la hausse de la valeur du patrimoine en France a du même coup entraîné une augmentation « très forte » des montants transmis qui sont passés « de 60 à 250 milliards depuis 1980 ». « Ces flux représentent aujourd’hui 19 % du revenu disponible net des ménages, contre 8,5 % en 1980 » précise Clément Dherbécourt. « Or, ajoute-t-il, cette somme se redistribue de manière très inégalitaire dans la population, car les patrimoines sont beaucoup plus concentrés que les revenus et cette concentration a peu évolué depuis les années 1980 ». Cette augmentation du patrimoine bénéficie surtout aux seniors.

En 1986, le patrimoine net médian des trentenaires était 45 % plus élevé que celui des plus de 70 ans, en 2015 il est trois fois et demi plus faible. Alors que le patrimoine médian net des quadragénaires était relativement proche de celui des 60-69 ans en 1986, il est aujourd’hui deux fois plus faible. « Les sexagénaires sont depuis 2010 la catégorie d’âge la plus dotée en patrimoine ». Et cela ne devrait pas s’arranger au regard de l’allongement de la durée de la vie qui repousse d’autant les successions. « L’héritage bénéficie à des ménages plus âgés qu’auparavant, explique l’auteur, ce qui contribue à un appauvrissement relatif des ménages les plus jeunes (moins de 50 ans) par rapport à leurs aînés ». Les enfants héritent aujourd’hui aux décès des parents en moyenne à 50 ans (huit ans de plus qu’en 1980). En 2035, les héritiers auront dans les 55 ans et plus de 60 ans en 2070 ! « Un déséquilibre s’est creusé entre générations, ce qui met la France dans une situation singulière » analyse Jean-Pierre Pisany, le Commissaire général de France Stratégie. Sans compter que l’allongement de l’espérance de vie crée par ailleurs le besoin d’une épargne de précaution (notamment contre le risque de dépendance) avec probablement un impact négatif sur la pratique des donations. Ainsi, conclut France Stratégie, « tout se met en place pour que la progression de la part de patrimoine détenue par les seniors s’autoalimente et pour que la richesse des individus soit plus qu’auparavant déterminée par celle de leurs ascendants, plutôt que par leur propre trajectoire de revenus ».

Eviter l’apparition d’une société à deux vitesses

Pour remédier à cette forme « d’inégalité des chances et éviter l’apparition d’une société à deux vitesses, où le patrimoine serait hérité à un âge avancé par une petite partie de la population », l’organisme estime que la fiscalité pourrait jouer le rôle d’un « outil de redistribution » entre générations et à l’intérieur des générations. « Elle peut également être un vecteur d’efficacité économique, si elle favorise les donations et oriente l’allocation du capital vers des investissements plus productifs ». Ce qui est loin d’être le cas avec le système actuel, « complexe et datant d’un siècle » mais qui reste cependant « largement perfectible ». La note propose de réformer en profondeur la fiscalité des transmissions en la reconstruisant du point de vue des héritiers 


* Peut-on éviter une société d’héritiers ? Clément Dherbécourt, Département Société et Politiques sociales  – France Stratégie

 

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