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La Santé, enjeu de la présidentielle

Par le Professeur Claude Le Pen, Professeur d’Economie à l’Université Paris Dauphine

La santé et la Sécurité sociale, thèmes de campagne présidentielle ? Voilà qui serait inédit dans l’histoire de la Vème République ! Ni en 2012, ni en 2007, ni en 2002, la santé n’a été un sujet de débat entre les candidats et on pourrait remonter ainsi jusqu’en 1965. Plusieurs raisons à cela. La plus évidente : l’absence de problèmes perçus par l’opinion publique… Jusqu’à ces dernières années, les Français se sont montrés satisfaits d’un système présenté par l’OMS en 2000 comme le meilleur du monde. Sur chacun des critères retenus par l’Organisation, la France, sans jamais être la première, n’était jamais mal classée. Cette homogénéité lui a assuré la première place, accréditant l’idée que notre pays avait su mieux que d’autres concilier solidarité et liberté.

La Sécurité sociale, issue de la Résistance et de la Libération, a vite trouvé sa place dans le Roman national au-delà des clivages partisans… C’est une situation que l’on ne retrouve ni aux Etats-Unis, ni au Royaume-Uni, ni même en Allemagne où les trains de réforme de 1992 et 2003 qui ont profondément modifié le système de santé ont fait l’objet de larges débats. Rien de tel en France. Quand dans les années 90, sous l’effet du ralentissement de la croissance, la question du déficit a commencé à se manifester de manière récurrente, les politiques des deux bords ont rapidement convergé. Des thèmes comme la fiscalisation, l’universalisation et surtout l’étatisation du système ont inspiré toutes les lois ou ordonnances ayant marqué la politique de santé depuis le début des années 90, qu’il s’agisse de la Loi Teulade de 1993, des ordonnances Juppé de 1995, de la loi Aubry de 1999, de la loi Douste-Blazy de 2004, de la loi Bachelot de 2007 et de la loi Touraine de 2015. Deux principes fondamentaux ont fait consensus dans la « classe politique » : 1) les dépenses doivent être maîtrisées ; 2) le taux moyen de couverture de l’assurance obligatoire de base ne doit pas (trop) diminuer. Et cela a marché : le taux de croissance de la dépense publique a été divisé par 3 jusqu’à descendre à moins de 2 % en 2015 et la part des dépenses totales financées par la Sécurité sociale ou l’Etat est restée remarquablement stable autour de 77 %. Corollaire, la pression économique s’est surtout exercée sur les professionnels de la santé appelés à modifier leurs pratiques dans le cadre de la « maîtrise médicalisée » et à modérer leurs tarifs dans celle de la « maîtrise comptable ». En revanche, elle a relativement épargné une population que les rédacteurs de ces textes ont toujours pris soin de rassurer par une référence constante – et rhétorique – aux principes fondateurs de 1945. De Juppé à Touraine, les médecins – et plus généralement les professionnels de la santé – ont mal vécu le sentiment de devoir porter l’essentiel de l’effort. Boycott des instances paritaires, dénonciation des accords conventionnels, manifestations publiques, grèves dans les hôpitaux et fermetures des cabinets, ils ont tenté de se faire entendre sans toutefois être suivis par l’opinion publique, ni pouvoir s’inscrire dans le débat suprême d’une campagne présidentielle.

Les réformes des retraites ont fait descendre les Français en masse dans la rue en 1995 et en 2003. Pas celles de la santé. Mais les choses changent. Au fil du temps, la confiance des Français dans l’avenir du système s’est dégradée. Le déficit et la dette, la désertification médicale, les engorgements hospitaliers des grandes villes, l’allongement des files d’attente dans certaines spécialités médicales, l’augmentation des primes des assureurs complémentaires, la peur de ne pouvoir accéder dans l’avenir à une innovation médicale efficace mais coûteuse… ont fragilisé le système.

La convergence du mécontentement structurel des professionnels et d’une plus récente inquiétude populaire explique l’émergence du thème de la santé et l’écho qu’ont suscité les propositions quelque peu radicales de François Fillon (distinction petit risque/gros risque, franchise médicale universelle, 39h payées 35 à l’hôpital, suppression de l’AME, etc.). Cette configuration d’intérêts et d’inquiétudes, sans précédent sous la Vème République, reste toutefois très ambiguë et si la demande de réforme est très affirmée des deux côtés, les thèmes divergent. Les professionnels se mobilisent pour défendre leur indépendance professionnelle, sauvegarder leur statut libéral et la liberté d’installation, proscrire le rationnement des soins, lutter contre l’érosion des honoraires, refuser les contraintes administratives et dénoncer l’étatisation de la gouvernance. De l’autre côté, les très intéressantes enquêtes d’opinion de la DRESS montrent une population qui impute très largement (à 84 %) le coût trop élevé de la santé à sa mauvaise gestion et qui voit comme remède l’augmentation de la taxation des médicaments (84 %), la limitation des tarifs des médecins (81 %) et la réduction de la prescription d’examens et de médicaments (67 %) (1) ! La réforme aux yeux de l’opinion publique n’est pas structurelle et exclut toute remise en cause radicale : des quatre branches de la Sécu, la maladie est celle où l’attachement à l’universalité des prestations est la plus forte ! Ce qu’a bien illustré les très hostiles réactions à la fameuse proposition de François Fillon de confier le « petit risque » aux assureurs-santé complémentaires et de réserver la Sécu au « gros risque ». Sans doute les rédacteurs de son programme n’avaient-ils pas bien perçu, qu’à tort ou à raison, les Français n’accordaient pas le même poids symbolique à un euro remboursé par la Sécu, fruit d’une solidarité collective, et à un euro remboursé par une complémentaire santé, issu d’un choix privé des personnes ou des entreprises.

Dans un rapport récent pour l’Institut Montaigne (2), nous avons proposé quelques pistes de réformes autour de cinq thèmes principaux : l’accès à l’information, la pertinence des soins, l’innovation, la gouvernance et la clarification des rôles respectifs de l’assurance maladie obligatoire et des complémentaires-santé. Le thème de la gouvernance est majeur. Il nous semble urgent de séparer les missions « régaliennes » de l’Etat de ses fonctions gestionnaires. Le système de santé est géré au jour le jour dans une optique court-termiste qu’illustre la loi annuelle de financement de la Sécurité sociale. Nous recommandons de confier la gestion du système à un opérateur indépendant unique chargé de contracter avec l’ensemble des professionnels de santé, y compris les établissements de santé, et de recentrer l’Etat sur son rôle directeur comme garant de l’universalité d’accès aux soins, de l’équilibre financier et de la pérennité du système. On a du mal à comprendre pourquoi l’Etat exerce « en direct » la tutelle de l’hôpital alors que les professionnels libéraux sont conventionnés par l’assurance-maladie. Cette dichotomie, dont on aurait du mal à trouver l’équivalent dans d’autres pays, est contradictoire avec la prise en charge des pathologies chroniques, les plus exigeantes financièrement, et avec la volonté de valoriser les « parcours de soins ». Nous appelons également à une simplification institutionnelle : la multiplicité des régimes et des caisses se justifie-t-elle encore alors qu’au final, prestations et contributions sont largement identiques ? Nous prônons une autonomie plus poussée des acteurs, gage de responsabilité et d’efficience, notamment des hôpitaux publics qui pourraient opter pour un statut d’établissement de santé public autonome.

Enfin, nous attachons une importance particulière à la méthode de la réforme qui doit être conduite avec pédagogie dans le cadre d’une vision partagée. On connaît la célèbre formule que Tommaso di Lampedusa prête, dans le Guépard, aux nobles Siciliens face à la nouvelle Italie républicaine : « si nous voulons que tout reste en l’état, il faut que tout change ». Dans la santé c’est le contraire : si l’on veut que tout change il faut que tout reste en l’état… notamment les valeurs et principes sans lesquels aucune réforme n’est démocratiquement possible. 

(1) « Baromètre d’opinion de la DRESS sur la santé, la protection sociale, la précarité, la famille et la solidarité » Enquête BVA pour la DRESS. Décembre 2015.
(2) « Réanimer le système de santé », rapport d’un groupe de travail de l’Institut Montaigne sous la direction de Claude LE PEN et Frédéric van ROEKEGHEM, co-présidents, et de Thomas LONDON, rapporteur, juin 2016.