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Donald Trump et les hommes de Washington : tout ne va pas de soi !

Par Jean-Eric Branaa, Maître de conférences, Spécialiste des Etats-Unis

Avec les premières nominations, Donald Trump a créé la surprise ; celles qui ont suivi n’ont rien enlevé à la confusion qui règne en cette période de transition.

Trump et les conservateurs

Donald Trump avait été très critiqué dans les premiers jours alors qu’il remplaçait à la surprise générale Chris Christie – qui préparait pourtant cette transition depuis le printemps–, par le vice-président Mike Pence en personne. On a vu là une tentative de déplacer le curseur politique en direction des plus conservateurs et la nomination de plusieurs d’entre eux, tels que Ben Carson, Newt Gingrich, Jeffs Sessions ou Rudolph Giuliani dans l’entourage du nouveau président a semblé confirmé le choix d’une ligne dure. Les toutes premières nominations aux plus hautes fonctions n’ont en rien démenti cette idée, et celle de Steve Bannon comme conseiller spécial a fait couler beaucoup d’encre.

La ligne semblait donc claire et personne n’a été surpris de retrouver Jeffs Sessions comme Attorney General, c’est-à-dire en charge de la justice, mais aussi de la police. Le gouverneur de l’Alabama est connu pour être sans concession vis-à-vis de l’immigration et il prône également la tolérance zéro envers les criminels. Le général Flynn a également fait partie des premiers nominés, en charge de la sécurité intérieure. Ce n’est pas non plus un tendre : il est notamment favorable au recours à la torture contre les terroristes, tout comme le nouveau directeur de la CIA, Mike Pompeo. On pensait donc que les tenants de la ligne dure l’avaient emporté.

Le président de tous les Américains

Pourtant, abandonnant soudainement sa rhétorique souvent guerrière utilisée dans la campagne, il parle aujourd’hui de réunification de tous les Américains et, à la veille de la Thanksgiving, il a encouragé ses compatriotes à dépasser les clivages raciaux. Il a alors nommé trois personnalités issues des minorités : deux femmes, dont une Indienne-Américaine, et un Afro-Américain. Betsy Devos a hérité du portefeuille de l’éducation et Ben Carson de celui du logement et du développement urbain. Nikki Haley, quant à elle, est la nouvelle ambassadrice aux Nations unies.

Le seul problème est qu’aucun de ces nouveaux nommés ne connaît quoi que ce soit au secteur dont il a désormais la charge. Betsy DeVos est une riche héritière qui a largement financé le Parti républicain et se voit aujourd’hui récompensée. Elle est hostile à l’école publique et veut encourager le libre choix scolaire et le développement du privé. Ben Carson n’a aucune expérience dans son nouveau poste, et seule la couleur de sa peau semble justifier sa nomination. Quant à Nikki Haley, c’est une belle prise politique pour Donald Trump, tant elle fut critique pendant seize mois.

Confusion et opposition

Mais tout cela n’est pas de nature à aider un président qui est, lui aussi – rappelons-le–, totalement novice en politique. Pour les prochaines nominations, on parle de Mitt Romney aux Affaires Etrangères. Si l’opposition à cette idée est forte parmi les plus loyaux supporters de Trump, ce serait pourtant un bon moyen d’élargir sa base en vue de sa prochaine campagne, en 2020. Il faudra cependant ne pas négliger celles et ceux qui se lèvent déjà pour le contrer : Rand Paul a promis de tout faire pour empêcher l’éventuelle nomination de Rudolph Giuliani. Il faut également surveiller Ted Cruz, qui cherche à reprendre la main. C’est également le cas de Marco Rubio, qui vient juste d’être réélu en Floride et n’a donc rien à craindre jusqu’en 2022. Sans oublier John McCain, qui n’a pas désarmé contre Donald Trump ou Lindsay Graham, qui ne veut pas entendre parler d’un dégel avec la Russie. Il ne faut pas imaginer qu’ils seront isolés : déjà Jeff Flake, sénateur de l’Arizona, Ben Sasse, de Floride, Susan Collins, du Maine ou la sénatrice de l’Alaska, Lisa Murkowski, commencent à faire entendre leur voix.

Avec un Sénat qui ne compte qu’une petite majorité de 2 voix pour les Républicains, chaque défection devient un problème. A défaut de « nettoyer le bourbier », comme il l’a promis en parlant de Washington, Donald Trump devra se méfier de la branche législative – le Congrès–, et déployer tout son art pour la négociation, celui dont il s’est tant vanté pendant toute la campagne. Car, sinon, les hommes de Washington pourraient bien lui montrer que les Père Fondateurs, en appliquant les prescriptions de Montesquieu et en prévoyant, notamment, une séparation stricte des pouvoirs dans la Constitution, ont bien tout prévu : même une élection aussi folle que celle de 2016. 

 

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