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Quand le Bio met l'eau à la bouche

Longtemps réservé à une population plutôt branchée et bobo, le bio se démocratise. Sa croissance est exponentielle, avec un chiffre d’affaires estimé à 6,9 milliards d’euros, en croissance de 20 % par rapport à l’an dernier. 9 Français sur 10 (89 %) consomment désormais bio, au moins occasionnellement, alors qu’ils n’étaient encore que 54 % en 2003. Une croissance qui aiguise les appétits. Tour d’horizon d’un secteur qui ne connaît pas la crise.

“Le bio, ce n’est pas simplement répondre à une mode, c’est le durable. Le durable peut parfois être à la mode” expliquait en mai dernier le président de la République venu inaugurer en grande pompe la plus grande halle Bio d’Europe à Rungis. Arrivé peu avant 7 heures du matin, François Hollande était accompagné de Ségolène Royal, Ministre de l’Environnement et Sébastien Le Foll, Ministre de l’Agriculture. Tout en arpentant les allées de ce pavillon de 5600m2 entièrement consacré à la commercialisation des produits issus de l’agriculture biologique, président et ministres n’ont pas manqué de goûter à quelques-uns des nombreux produits bio qui leur étaient présentés : vin, fromages, charcuterie. « Je mange de tout » a répondu le Chef de l’Etat lorsqu’on lui demandait s’il mangeait bio. L’inauguration de cette halle par le Chef de l’Etat est loin d’être anecdotique. C’est même le signe que le bio est devenu un marché porteur et en pleine croissance.

« Le marché bio change d’échelle » affirme sans détour l’Agence Bio qui présentait les derniers chiffres du secteur. Des chiffres encourageants. Très encourageants même. « L’agriculture biologique atteint un rythme de croissance historique en France. On estime que le marché du Bio a enregistré une progression de l’ordre de +20 % au 1er semestre 2016 comparé à la même période de 2015, déjà très dynamique. »

Un marché bio qui change d’échelle

« A la fin de l’année, il devrait atteindre les 6,9 milliards d’euros, soit un gain d’1 milliard d’euros en seulement 1 an » détaille l’Agence, ravie. Cette explosion du secteur est le fruit de l’engouement grandissant des consommateurs, et pas seulement français, pour ce type de produits. La peur des scandales sanitaires, la malbouffe, le développement des maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète n’y sont pas pour rien. La population cherche à manger plus sainement et veut une plus grande transparence et traçabilité du produit. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui, lorsqu’ils mangent, veulent être rassurés. Le bio répond à cette attente. Le bio, réputé bon pour la santé et la planète, n’est plus plus un effet de mode. Selon les chiffres d’Organic Monitor, le marché du bio pèse près de 72 milliards d’euros dans le monde. Il a quintuplé en cinq ans. Les Etats-Unis sont le premier marché mondial (43 %) suivis par l’Allemagne et la France.

En France, les consommateurs sont au rendez-vous. D’après le dernier Baromètre Agence Bio / CSA 2015, 9 Français sur 10 (89 %) consomment désormais bio, au moins occasionnellement, alors qu’ils n’étaient encore que 54 % en 2003. 65 % en consomment même régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par mois, contre 37 % en 2003. Les ventes de produits issus de l’agriculture biologique se portent bien. Elles ont même encore progressé au premier semestre 2016. « Si l’année 2015 avait été marquée par un développement record des ventes (+14,7 % en 2015 vs 2014), celui-ci se confirme au premier semestre 2016 » souligne l’Agence Bio.

Les grandes surfaces ont ainsi observé une croissance de leurs ventes des produits bio de près de 18 % par rapport à 2015 (+11 % entre 2014 et 2015). Le circuit spécialisé bio confirme, quant à lui, son rôle moteur dans cette croissance avec une augmentation des ventes de 25 % sur le premier semestre 2016. Au regard de ce marché prometteur, les grandes surfaces alimentaires (Hypermarchés et supermarchés) qui représentent déjà 44 % du marché devant les magasins spécialisés (34 %) et la vente directe (13 %) ont décidé de pousser encore leur avantage.

Forte croissance des ventes bio

Aujourd’hui, toutes les enseignes ont leurs propres rayons de bio bon marché. En tirant les prix vers le bas, elles ne cessent du même coup de prendre des parts de marché aux enseignes historiques comme Naturalia ou biocoop.

Carrefour qui fait la course en tête du bio (20 % de parts de marché) a lancé en début d’année une chaîne de magasins dédiés, Carrefour Bio. Une dizaine d’unités sont d’ores-et-déjà ouvertes et plusieurs autres ouvertures devraient suivre d’ici la fin de l’année. Dans ses 5600 hypermarchés et supermarchés, Carrefour propose déjà 6000 références bio dont 1500 en marque distributeur. Au-delà de l’alimentation, l’enseigne propose également des produits bio en cosmétique et en textile. Carrefour qui déploie aussi sa gamme sur le Net, sur son site et sur son site de livraison Ooshop, vient de racheter le site Greeweez qui propose pas moins de 15 000 références bio. Auchan n’est pas en reste. L’enseigne nordiste vient de créer sa propre chaîne de magasins spécialisés, Cœur de nature.

Les hypermarchés de plus en plus présents sur le marché bio

Dans ses hypermarchés, Auchan connaît une forte progression des ventes de produits bio dont la gamme ne cesse de s’étoffer avec notamment une cinquantaine de produits bio à moins de 1 euro. D’autres sont en embuscade. Monoprix propose 2000 produits dont 450 en marque propre. Ses produits alimentaires bio ont fait un bond de 12 % entre 2014 et 2015. Casino, qui possède par ailleurs Naturalia (147 magasins dont 37 ouverts en 2015) est sur la même dynamique. Sans oublier Leclerc qui se lance dans l’aventure. Et dans le discount, Leader Price (Groupe Casino) offre plus d’une centaine de produits dont plusieurs en gamme bébé. Une grande et moyenne distribution qui pourrait finir par faire de l’ombre aux magasins spécialisés. Biocoop, leader français sur son segment (380 magasins) au chiffre d’affaires (2015) de 165 millions d’euros (+17 %) va ouvrir une quarantaine de nouveaux magasins dans l’année. Bio C’Bon a ouvert 64 points de vente en sept ans.

La vente directe est en plein boum également avec un taux de croissance à deux chiffres. Plus de la moitié des producteurs bio (essentiellement apiculteurs, éleveurs caprin, maraîchers et vignerons), font de la vente directe sur les marchés (24 % marchés classiques, 6 % marchés bio), directement à la ferme (22 %), par paniers (24 %), par correspondance (9 %) ou dans des magasins de producteurs (7 %).

Le nombre d’agriculteurs bio ne cesse de progresser

Face à cette demande croissante, l’offre a encore un peu de mal à suivre le rythme même si elle a enclenché la vitesse supérieure. Le nombre d’agriculteurs bio ne cesse de progresser ; ils sont non seulement attirés par un marché en forte progression mais aussi leur volonté de sortir la tête de l’eau après des années de crises successives. Au cours des 6 premiers mois de l’année, ce sont plus de 21 nouvelles fermes bio qui se sont installées chaque jour en France. Au 30 juin 2016, on recensait 31 880 producteurs français engagés en bio (7,2 % des fermes françaises). D’ici la fin de l’année, l’Agence Bio estime que les terres consacrées au mode de production bio dépasseront la barre des 1,5 million d’hectares, soit plus de 5,8 % de la Surface Agricole Utile (SAU). On compte aujourd’hui 1,57 million d’hectares certifiés bio contre 500 000 ha en 2007.

C’est dans le secteur du lait que l’on a vu la plus forte progression de conversions. En 2016, plus de 560 producteurs spécialisés s’y sont engouffrés en 6 mois alléchés par des prix stables et attrayants (450 euros la tonne contre 257 euros pour le lait classique).

Hausse des ventes de vin bio en France et à l’international

D’ici 2018, temps de conversion oblige, la filière table sur un développement de l’ordre de 30 % de la collecte de lait bio. Au-delà, les filières les plus concernées par le développement de la Bio en France restent, comme en 2015, celles des grandes cultures (740 engagements) notamment dans le blé, et de l’élevage bovin allaitant (400 engagements), « avec un rythme similaire à l’an passé ». On peut aussi signaler la bonne santé des vins bio dont les ventes en grandes surfaces (mais également à l’international) ont augmenté de 10 % au 1er semestre 2016 par rapport au1er semestre 2015. Du côté de la production, 300 nouveaux domaines viticoles se sont engagés en bio sur le 1er semestre 2016 ajoute l’Agence Bio.

A l’aval de la filière, les entreprises de transformation et de distribution sont également de plus en plus nombreuses à exercer des activités bio. Au 1er semestre 2016, 1 200 nouveaux opérateurs ont rejoint les rangs des acteurs de l’aval bio en France, qui sont désormais plus de 14 300. Au 30 juin 2016, la France comptait au total plus de 46 218 entreprises bio, amont et aval confondus (18 380 en 2007).

Si depuis le Grenelle de l’environnement, il est fait obligation aux administrations publiques de faire une large place aux produits issus de l’agriculture biologique dans leurs cantines   – en 2012, on trouvait dans leurs restaurants 20 % d’aliments bio   – et que de plus en plus de collectivités locales font appel au bio, les écologistes au Parlement veulent accentuer le mouvement et plaident en faveur d’une plus grande introduction d’aliments bio locaux dans la restauration collective et notamment scolaire.

Le bio s’invite à la table de la restauration collective

Début juillet, l’Assemblée nationale adoptait deux amendements au projet de loi « Egalité et citoyenne » favorisant le « manger local » dans la restauration collective publique. L’amendement principal qui prévoyait que d’ici 2020, la composition des repas servis dans les restaurants collectifs publics devra compter 40 % de produits issus de l’alimentation durable, locaux, de saison a été retoqué en Commission des Affaires économiques du Sénat. Il fixait également un objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique ou en conversion. Amendements retoqués. Mais toute cette agitation et cette attente des consommateurs n’a pas échappé aux grands noms de la restauration collective. Sodexo par exemple a fait le choix de miser sur « un approvisionnement de proximité, une stricte sélection de nos fournisseurs, la vérification des matières premières, la prise en compte de critères sociaux » explique aux Echos France de Sambucy, la directrice achats de Sodexo. Si l’entreprise opte le plus possible pour le bio dans les fruits et légumes, elle hésite plus pour la viande dont les prix sont souvent pas en rapport avec les exigences de sa clientèle. En 2014, Elior France a acheté pour 6,5 millions d’euros de produits bio. Si le bio ne représente que 3,5 % de ses achats (7 % de ceux réalisés pour les scolaires), il ne cesse de croître dans cette entreprise avec déjà plus de 1200 produits répertoriés).

Enfin, selon les données recueillies mi-2016 par l’Agence Bio, en termes d’emplois, le Bio représente plus de 70 000 emplois directs dans les fermes en équivalent temps complet, 30 000 emplois directs pour la transformation et la distribution de produits bio en équivalent temps complet, 2 000 emplois en équivalent temps complet pour les actions de contrôles spécifiques à la bio, conseils, recherche et formation, développement, services administratifs. Au total, le bio représente plus de 100 000 emplois directs en équivalent temps plein en France.

Mais si finalement aujourd’hui, avec l’essor du bio devenu un business mondial et des prix tirés à la baisse, toute la question était de savoir si le bio n’est pas en train de perdre son âme. Le développement d’un bio low-cost ne serait-il pas alors contraire à la philosophie même d’un bio éthique et responsable ? Le bio low-cost ne va-t-il pas mettre à bas le modèle d’une agriculture biologique telle que l’on se l’imagine, respectueuse de l’environnement et du paysan ? Certains le pensent. Avec des modes de production très différents, on se retrouve maintenant avec des différences de prix pouvant aller de 10 à 20 % entre le bio distribué en grande surface et le bio distribué par le circuit historique. Cette tendance ne pousserait-elle pas le bio à se rapprocher de ce qu’est le marché conventionnel de l’agroalimentaire ? « Si on laisse faire, explique le journaliste engagé Frédéric Denhez (1), cela veut dire que l’on va retomber dans le mêmes travers que le marché conventionnel. On va faire du bio qui sera bio mais qui sera vendu si peu cher que les producteurs n’auront même plus les moyens d’en vivre. On pourra alors dire adieu à l’esprit du bio. L’agriculture biologique, c’est pas de pesticides, d’engrais mais c’est aussi une philosophie : un paysan, un transformateur, un distributeur sur une zone géographique relativement circonscrite. Voilà l’essentiel du bio » explique-t-il inquiet de ce qui pourrait à l’avenir se passer avec des produits bio importés toute l’année sans respect de la saisonnalité par exemple. Question : Le bio doit-il être réservé à ceux qui peuvent payer plus cher ou doit-il se démocratiser et pouvoir être consommé par tous ? S’il doit être accessible à tous, il faut alors pouvoir répondre à la demande, toujours plus forte. Donc produire plus. Ce que d’aucuns appellent la massification. Le consommateur s’y retrouvera, moins sûr pour le producteur national. C’est le serpent qui se mord la queue. 

 

1. Dans le documentaire « la Face cachée du bio low cost » France 5   – Dimanche 23 octobre 2016

 

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