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La loi Sapin 2 et le lobbying, la loi va-t-elle améliorer la fabrique de la loi et restaurer la confiance ?

Par Laurent Mazille, Président de l’ARPP

Après son adoption définitive, la loi Sapin 2 – en attendant de connaître dans le détail le décret d’application de son article 25 – va fortement impacter le travail des responsables des affaires publiques et des relations institutionnelles, travaillant au sein d’entreprises, de fédérations, de syndicats ou d’associations. En effet, la loi instaure à compter de juillet 2017, un répertoire numérique dans lequel les représentants d’intérêts devront s’inscrire pour pouvoir entrer en relation avec les membres des cabinets, les fonctionnaires des administrations centrales, les parlementaires, les membres des autorités administratives indépendantes et en 2018 avec les élus locaux !

Ce répertoire unique ne nous pose pas de problème sur le principe, il est à l’image du répertoire à Bruxelles qui concerne toutes le Parlement et la Commission (la réflexion est en cours pour une extension à la Présidence du Conseil). Il est important aux yeux des professionnels du lobbying que nous sommes de promouvoir des règles éthiques dans la conduite de nos relations extérieures, le répertoire unique est un outil qui peut faciliter la relation avec les pouvoirs publics et inciter vertueusement le représentant d’intérêts à s’inscrire.

Malheureusement, le Gouvernement et certains députés ont transformé ce répertoire en usine à gaz, en machine administrative qui va noyer la HATPV (chargée de vérifier les informations qui lui seront envoyées) sous un flot continu d’informations qu’elle n’aura pas les moyens de traiter, machine administrative qui va au final paralyser les échanges entre les parties prenantes et les pouvoirs publics. Ce dont souffre aujourd’hui la France en matière de « fabrique de la Loi », c’est bien cette incapacité à associer les Français à la décision publique tout au long de la mandature et à faire en sorte que la loi fasse consensus et réponde aux attentes des Français.

Comme le rappelle Anthony Escurat dans son étude sur le lobbying (Fondapol février 2016), c’est un outil au service de la démocratie mais en France ce débat semble tabou, les mentalités sont bloquées sur ce point depuis la Révolution française qui a institué l’Etat comme seul organe de la Nation à même d’incarner l’intérêt général. Que de lois et de règlements inefficaces, inopérants ont été adoptés au nom de l’intérêt général ces dernières années ! Que d’injustices et d’inégalités perdurent au nom du sacro-saint intérêt général incarné par l’Etat qui est omniprésent, omniscient et omnipotent face aux problèmes économiques, sociaux, environnementaux et sécuritaires. Le lobbying dans une démocratie mature, une démocratie apaisée, est au service de l’intérêt général car il participe à la richesse des débats, à la confrontation des idées dans le respect de l’indépendance des pouvoirs publics. La France est bien loin de tout cela et le climat politique actuel nous en éloigne chaque jour. Dans les pays nordiques, les études d’impact ne sont pas bâclées comme en France, les analyses ne sont pas empreintes d’idéologies marquées par un rejet de l’entreprise, et les administrations centrales sont aussi transparentes que les élus et les parties prenantes. Quant à la concertation, elle devrait inclure la rédaction des décrets qui rendent parfois la loi inapplicable ou insupportable pour le citoyen ou l’entrepreneur.

La loi Sapin 2 impose ainsi un rapport annuel dans lequel il faudra lister l’ensemble des échanges, des communications, des mails, des rendez-vous, des déjeuners, des visites de terrain dont l’entreprise prend l’initiative. Un tel rapport avec l’identité des personnes s’apparente presque à un rapport de police politique. Sous couvert de transparence, c’est la dictature d’une minorité qui veut enfermer le pouvoir public dans sa tour d’ivoire, sa sclérose. Toutes ces informations envoyées à la HATPV pourront être transmises à toute personne qui en fera la demande ! Une possibilité qui comporte de graves risques en termes d’atteinte à la confidentialité des données, la protection du secret des affaires (expression que certains ont du mal à comprendre lorsqu’il s’agit de s’intéresser à une entreprise confrontée à une vive compétition internationale) et d’image au final puisque ces informations pourront être déformées dans les médias dans le but de nuire à la personne ou à l’entreprise.

Qu’il soit permis de douter que la transparence ainsi conçue, souhaitée et pratiquée par les professionnels que nous sommes, suffise seule à rétablir la confiance, le risque est donc grand de voir le fossé se creuser entre les pouvoirs publics et les entreprises au moment où la France est confrontée à une situation économique qui exige des réformes s’inspirant d’un dialogue constructif, ouvert et fluide avec les parties prenantes. 

 

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