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Une mystification dangereuse : le budget OPEX

Par le Général Vincent Desportes, Ancien directeur de l’Ecole de guerre, Professeur de stratégie à Sciences Po et à HEC

A quoi bon s’offrir une Porsche si l’on ne peut pas payer le carburant ? Grave incohérence ! C’est pourtant ce qui se passe pour les armées françaises : plus les opérations extérieures se multiplient, plus leur financement se réduit !

Les Echos viennent ainsi de révéler que le coût des opérations extérieures (OPEX) devrait s’établir pour 2016 entre 1,1 et 1,2 milliards… alors qu’il est budgété à 450 millions d’euros. Nous sommes ici bien davantage dans le mensonge organisé que dans la « sincérité budgétaire » pourtant revendiquée à grands cris. C’est caricaturer à peine de dire que, depuis 2012, les opérations ont doublé tandis que leurs budgets ont été divisés par deux !

Pour se défendre, les autorités expliquent que c’est de leur part fine manœuvre puisque, au final, la facture sera bien réglée… par la solidarité interministérielle, c’est-à-dire un hold up organisé par les plus hauts responsables de l’Etat : bravo ! Cette malhonnêteté, hélas, met directement en danger tant la sécurité de la France que la vie des soldats.

En effet, ce sous-dimensionnement organisé a de puissants effets pervers : 630 millions d’euros budgétés en 2013 pour une dépense effective de 1,25 milliards, 450 millions budgétés en 2014 pour une dépense de 1,128 milliards, un schéma identique pour 2015 et 2016 et un budget OPEX qui reste désespérément bloqué à 450 millions pour 2017 ! Ce sous-dimensionnement influe négativement sur le succès des opérations comme sur la sécurité de nos soldats.

Ainsi, aujourd’hui, dès qu’une opération est décidée, les planificateurs restreignent les moyens, non en fonction des exigences opérationnelles mais selon une stricte logique budgétaire. Puis, dès l’opération lancée, leur préoccupation essentielle devient de rapatrier au plus tôt ces moyens.

Avec plusieurs conséquences funestes : d’abord, les troupes se retrouvent toujours en sur-danger et en sous-efficacité par rapport à une opération planifiée normalement, en fonction de sa finalité et des exigences opérationnelles. Les options tactiques sont des choix par défaut, sous forte contrainte. En contradiction avec la réalité de la guerre, nos planificateurs travaillent sur devis, au forfait, dans l’enveloppe « temps/moyens » allouée. L’opération Sangaris en Centrafrique est un exemple dramatique de cette dérive : moyens très insuffisants dès le départ, adaptation micrométrique des volumes malgré les besoins criants, démontage aujourd’hui au mépris de la réalité du terrain.

Deuxième conséquence : du fait de leur sous-calibrage initial, les forces peinent à remplir leurs missions. L’action, à moyens comptés, tarde à produire ses effets et coûte, au final, plus cher.

Troisième conséquence : on intervient au compte-goutte, en partenaire très mineur des coalitions internationales, investissant trop par rapport à nos difficultés budgétaires mais pas assez pour assurer notre influence stratégique. Nos opérations en Afghanistan et notre participation trop mesurée aux actuels combats contre Daech le démontrent clairement.

Enfin, dernière conséquence, on accélère artificiellement le retrait des forces, gâchant leurs victoires tactiques qu’elles ne peuvent plus transformer en succès stratégiques et politiques.

En aval, un cycle pervers s’installe. Les armées doivent, sur leur propre budget (1), financer une partie des opérations que l’Etat n’a pas budgétée, au détriment de ses équipements et de son entraînement. Comme le disait élégamment la présidente de la commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale, Patricia Adam : « proportionnellement, plus la défense travaille, moins elle en a les moyens » ! (2) 

1. Par le biais de la « solidarité interministérielle » dont elles sont elles-mêmes partie
2. Air & Cosmos, 31 octobre 2014

 

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