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Les candidats à la primaire de la droite ont-ils vraiment versé dans le libéralisme ?

Par Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste, président de l’IREF, institut de Recherches Economiques et Fiscales*

Depuis plus de quarante ans que nos budgets publics sont en déficits, que nos dépenses sociales sont en augmentation incessante tout autant que le nombre de fonctionnaires censés biberonner les Français, la croissance baisse, le chômage ne désemplit pas et la France s’éloigne du peloton de tête des pays développés. Mais rien n’y fait, il faudrait poursuivre la politique keynésienne dont l’échec ne peut être attribué qu’aux excès des financiers et à l’égoïsme des classes possédantes. Et Staline en a envoyé en camp pour moins que ça ! Ceux qui s’élèvent contre la pensée unique sont vilipendés. « Ultra libéral », le mot est rapidement lancé comme une injure ou à tout le moins comme un repoussoir à l’encontre de tous ceux qui en France osent franchir les limites imposées. C’est la tentative engagée contre les programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre pour tuer dans l’œuf toute velléité de sortir de la doxa ambiante. En les traitant de libéraux, la gauche espère faire fuir une partie de l’électorat.

Et pourtant ! Certes, tous les grands candidats de cette primaire veulent desserrer le carcan de la puissance publique sur l’économie et sur les Français. Ils prétendent supprimer l’ISF, même quand ils l’ont renforcé, avec l’institution du plafonnement par Alain Juppé en 1995, ou quand ils ne l’ont qu’atténué contre toute promesse comme Nicolas Sarkozy dans son dernier mandat. Ils souhaitent mettre fin aux 35 heures, qui continuent de coûter plus d’une vingtaine de milliards par an au budget de l’Etat et qui entravent les entreprises. Ils sont prêts à réduire, plus ou moins, le nombre des fonctionnaires et autres emplois publics. Ils envisagent de relever l’âge de la retraite à 64 ou 65 ans, de supprimer le compte pénibilité, d’aligner les retraites publiques sur celles du privé. Ils proposent encore d’alléger le Code du travail, de rendre les allocations chômage dégressives, de favoriser les accords d’entreprises.…

Mais en réalité ces bonnes mesures ne seront pas vraiment libérales tant qu’elles resteront dans le cadre du sacro-saint « modèle social français » que tous protègent peu ou prou, A. Juppé le désignant comme « un acquis fondamental et un marqueur du modèle français ». Trop d’entre eux, sur trop de mesures pensent à tort faire des révolutions en bricolant une fois de plus les taux, les seuils, les âges, les bases, les limites, … Ils veulent baisser les charges sociales en transférant la charge des uns sur les autres selon la méthode pratiquée depuis des décennies par la gauche et par la droite, alléger le fardeau social en alourdissant les prélèvements fiscaux, ou l’inverse selon les cas et les manifestations du moment.. Ils pensent combler le trou béant qui s’ouvre dans le financement des retraites par répartition en reportant un peu plus le départ en retraite plutôt que d’envisager de changer de système en faveur de la capitalisation.

Certes, certains candidats puisent aux sources de la liberté pour façonner leurs réformes, mais ils sont peu nombreux. Hervé Mariton expose l’intérêt d’une “flat tax” couplée avec une suppression de toutes les niches fiscales. Frédéric Lefebvre le fait aussi mais en liant cette suggestion à l’instauration d’une allocation universelle qui revient à une forme d’assistance généralisée contribuant à renforcer cette société d’addiction à l’Etat que les libéraux souhaitent remplacer par une société de responsabilité individuelle. Plusieurs soulignent l’intérêt de regrouper les prestations sociales attribuées en fonction des revenus en une allocation sociale unique, notamment François Fillon et Hervé Mariton, mais tous restent dans le système de la sécurité sociale et aucun, hors Frédéric Lefebvre, n’imagine que les assurés sociaux pourraient utilement et efficacement s’assurer librement auprès de compagnies ou mutuelles de leur choix dans le cadre de contrats divers et variés comme en matière d’assurance automobile. Il n’y a que Hervé Mariton qui ose dire qu’il faut supprimer les HLM ! Aucun ne prospecte l’idée de refonder l’école minée par des syndicats désuets et égoïstes en l’ouvrant à la concurrence et à l’initiative en permettant la création d’écoles indépendantes financées par les parents qui recevraient de l’Etat un bon scolaire à remettre en paiement de la scolarité de leurs enfants à l’école de leur choix. Tous se contentent au mieux de vouloir réformer une énième fois une école publique irréformable !

Non, le libéralisme est encore loin d’avoir envahi l’espace politique. Car les réformes annoncées restent le plus souvent conçues par l’Etat pour l’Etat. Les libertés sont concédées plus que restituées aux hommes qui en sont les détenteurs légitimes. L’Etat ne reste pas seulement le garant de l’exercice des droits et devoirs de chacun, mais il veut en être le gestionnaire. Le nouveau chantre d’un pseudo libéralisme pratiqué dans la main de l’Etat est Emmanuel Macron qui veut renforcer l’Union européenne par l’institution d’un « gouvernement pleinement démocratique » commun, une discipline budgétaire plus forte, des solidarités financières entre pays de la zone euro et une plus grande intégration alors que l’Europe souffre de son excès d’immixtion et d’intervention dans les politiques nationales. Il fait croire qu’il adhère à la politique de l’offre mais reste profondément keynésien en souhaitant en Europe « un puissant investissement collectif ».

Dans la tête de la plupart des candidats à la primaire de la droite, domine encore l’idée que l’Etat a vocation à faire le Bien quand pour les libéraux il n’a vocation qu’à assurer le bien commun, qui n’est pas le bien de la collectivité, mais celui qui permet aux hommes de vivre ensemble dans le respect mutuel. Le bien commun est l’ordre social qui permet au mieux aux membres de la communauté politique de trouver les moyens adéquats à leur accomplissement personnel. Il ne faut pas en abuser car la référence prioritaire au bien commun est un danger en soi pour l’individu lorsqu’il est entendu au sens extensif, comme le bien de la collectivité plus que comme la seule préservation du cadre social pour que chacun y vive librement. Le but du législateur n’est pas de rendre les hommes bons, mais d’instituer une société la plus juste possible. La justice est la règle sur laquelle s’ordonne la vie sociale, qui permet le bien commun comme bonne vie ensemble, et qui permet à chacun de faire le bien qu’il n’appartient pas à l’Etat de faire à sa place.

Car le Bien est autre chose, il est la quête ultime de l’homme. Le Bien est presque de l’ordre transcendantal. Le souci de la bonté revient à chacun, la bonté est essentiellement privée. La bonté est unilatérale, elle se donne quand la justice est toujours issue peu ou prou d’un échange. La bonté est du ressort de la finalité de l’Homme, des fins que l’Homme a vocation à réaliser mais que nul ne saurait lui imposer. A défaut, il se voit amputer dans sa propre humanité. Lorsque la bienveillance est obligatoire, elle prend la forme d’une fiscalité sans limite. « Un gouvernement…fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, écrit Kant, …où les sujets sont forcés de se conduire d’une manière simplement passive, à la manière d’enfants mineurs, incapables de distinguer ce qui leur est vraiment utile ou nuisible et qui doivent attendre simplement du jugement du chef d’État la manière dont ils doivent être heureux et simplement de sa bonté qu’également il le veuille, est le plus grand despotisme qu’on puisse concevoir (1). »

Voilà pourquoi les libéraux veulent restaurer la responsabilité des individus, ce qui implique de les laisser agir librement. Pour eux, la loi n’a pas à dicter les comportements, à assister les gens jusqu’à les priver d’initiatives, à ponctionner revenus et patrimoines jusqu’à les dépouiller. Ils pensent qu’il suffit de rendre aux hommes leur liberté pour que la liberté fasse le reste. Il ne s’agit pas non plus d’être angélique et c’est pourquoi il faut un Etat fort, mais limité à ses tâches régaliennes. 

(1) Kant, Théorie et Pratique, IIème partie, § 5

* Auteur de l’ouvrage L’injustice fiscale ou l’abus de bien commun publié en février 2016 chez Desclée de Brouwer