Si la crise covid a permis de reconnaître que la chaîne alimentaire pouvait tenir malgré la réduction des échanges grâce à notre agriculture et nos industries agro-alimentaires, la guerre en Ukraine, en provoquant la hausse des coûts de l’énergie et des engrais azotés, a pour sa part révélé une forme de dépendance et démontré combien l’énergie pèse désormais dans les coûts de production de notre alimentation. D’abord pour produire les matières premières agricoles ; ensuite pour les transformer en produits alimentaires tels que les consommateurs, restaurateurs, collectivités sont habitués à les utiliser pour confectionner nos assiettes.
Outre la dépendance énergétique, il est à noter que la guerre en Ukraine a eu également pour conséquence de révéler notre dépendance en oléagineux (tournesol et colza), provoquant une hausse vertigineuse des huiles végétales.
Par ailleurs, il existe un double constat : la forte baisse du nombre d’exploitations et les perspectives peu encourageantes de l’arrivée de nouvelles générations. A ce constat s’ajoute le sentiment de rejet de l’agriculture par nos concitoyens et les critiques formulées par des ONG de plus en plus radicales, multipliant les actions spectaculaires pour dénoncer, ici un usage excessif de l’eau, là des produits phytopharmaceutiques, ou encore des nuisances olfactives ou sonores.
D’autre part, côté puissance publique, l’empilement des normes, la complexification des dossiers et l’allongement des procédures dû à la multiplication des recours, constituent autant de freins à l’émergence de projets agricoles en tout genre, bâtiments agricoles d’élevage ou réserves de stockage d’eau.
Enfin, la poursuite des négociations sur les traités commerciaux internationaux, faisant planer le doute sur la potentielle concurrence massive de matières premières agricoles en provenance de régions du monde où les règles de productions, tant sur le plan qualitatif qu’environnemental, sont à des années lumières des règles françaises et européennes.
L’ensemble de ces éléments a constitué un cocktail explosif dont la mèche a été allumée avec l’arrêt de la détaxation du GNR. La colère des agriculteurs, qui a reçu le soutien massif de nos concitoyens pose le débat de notre « souveraineté » ou plutôt de notre indépendance alimentaire.
Déjà dans les projets gouvernementaux, la Loi d’orientation agricole, en préparation de longue date et moulte fois repoussée, a été avec les manifestations agricoles de nouveau décalée pour tenir compte des revendications.
Pour moi, la colère du monde agricole, forte du soutien massif qu’elle a reçu, est l’occasion de pousser le curseur plus loin que nous n’aurions pu le faire sans cette prise de conscience populaire.
Outre le ras le bol exprimé, le monde agricole attend que soit défini de façon nette le modèle agricole que nous voulons. Personne ne veut renoncer aux progrès environnementaux ni au niveau qualitatif de nos produits. Chacun s’accorde même sur la nécessité à faire mieux, pour la qualité et la pérennité des sols, pour le respect de la biodiversité ainsi qu’en termes de réduction de l’usage de la chimie de synthèse.
Cependant, deux écoles s’expriment : celles de la diminution de la productivité, avec des fermes dont on réduirait la taille et l’usage drastique des intrants et celle du maintien d’une agriculture suffisamment productive qui ne renonce ni aux progrès ni à la compétitivité. Cette deuxième école est consciente que nous vivons dans un monde où le commerce est libre et sur la nécessité de rester dans la course internationale.
La loi d’orientation qui est présentée a pour ambition de retisser des liens entre le monde agricole et la société. Ces liens se sont en effet distendus avec le temps, corollairement à la diminution du nombre d’exploitants et l’éloignement des exploitations agricoles de la majeure partie de la population qui vit aujourd’hui dans les métropoles et ne connaît l’agriculture que par le prisme du salon de l’agriculture ou des critiques qui lui sont adressées via les réseaux sociaux ou les chaînes d’infos, présentant les pratiques comme néfastes à tout. Tout cela sans prendre le soin de faire œuvre de pédagogie et rappeler l’essentiel : il n’y a pas de génération spontanée dans le réfrigérateur ni sur les étagères de la cuisine.
L’ambition est claire : ouvrir les vraies fermes et les faire connaître aux scolaires avec une approche pédagogique, éclairée et impartiale. Savoir d’où vient ce que l’on mange, comment c’est produit, dans quelles conditions, par qui et comment ça arrive sur les rayons du supermarché ou dans l’assiette à la cantine. Il est bien loin le temps où chacun savait que le lapin du clapier de Mamie pouvait se retrouver dans la cocotte sur la gazinière pour être mangé à la persillade le lendemain. Bien éloigné pour le plus grand nombre d’avoir eu mal au dos pour ramasser les pommes de terre dans le jardin et de les faire en frite dans le quart d’heure qui suit.
La colère du monde agricole a permis à la société de prendre conscience de l’importance de l’agriculture pour nos vies d’êtres humains qui ont besoin de se nourrir pour simplement vivre. Dans un contexte de vives tensions internationales, cela met en lumière la fragilité potentielle de notre indépendance alimentaire qui est intimement liée à notre capacité à produire suffisamment de matières premières alimentaires. Aussi, la loi affirmera le caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et de l’aquaculture en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire.
Pour renouveler les générations d’agriculteurs, les seuls descendants d’agriculteurs n’y suffiront pas. Le projet de loi a donc également pour ambition de mieux faire connaître les métiers de l’agriculture de son amont jusqu’à son aval. Adapter les formations agricoles aux enjeux de l’agriculture de demain est par ailleurs indispensable. Ainsi, un effort de formation des formateurs doit être anticipé sans délai.
Les fondamentaux de l’agriculture, de l’agronomie, la connaissance des plantes et des animaux ou de la biodiversité devront plus que jamais être maîtrisés.
L’empilement des réglementations et des normes, dénoncée à juste titre par les agriculteurs, fera aussi l’objet de dispositions dans la loi, visant à faciliter, simplifier et libérer l’activité agricole. Ce vaste chantier est déjà en cours par la voie réglementaire ; la loi aura pour ambition de poursuivre celui-ci autant que nécessaire. Il ne faudra cependant céder ni à la tentation du laisser-faire à tout va et ainsi sacrifier les avancées d’hier, ni à la tentation de ne rien changer par manque de confiance envers ceux qui sont les premiers impactés par les risques et l’évolution climatique.
Si le projet de loi met la question du foncier sur la table, on reste dans une approche encore timide. Les structures agricoles sont conséquentes et valent des sommes vertigineuses pour une rentabilité faible. Elles sont difficilement accessibles à ceux qui veulent s’installer hors cadre familial. L’enjeu de l’accès au foncier ne pourra plus rester longtemps en marge du débat.
Voilà nombre de chapitres d’un magnifique débat que l’on doit à nos agriculteurs et à la société tout entière, dont les exigences ne peuvent plus rester ignorées. Une alimentation saine, durable et respectueuse de l’avenir de notre planète a un coût, elle a donc un prix. N’oublions ainsi jamais que la terre sur laquelle poussent nos récoltes ne nous appartient pas, mais que nous l’empruntons à nos enfants. ■