Print this page

Lois Egalim : pourquoi le mécanisme est-il enrayé ?

Par Anne-Laure Babault, Députée de Charente-Maritime et Alexis Izard, Député de l’Essonne

Les députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard ont été désignés par le Premier ministre pour mener une mission parlementaire concernant l’évolution de la loi Egalim. Leur rapport devrait être rendu d’ici juin.

L’invasion russe de l’Ukraine a bouleversé nos certitudes. Elle a mis fin au rêve d’une Europe débarrassée de la guerre. Plus concrètement, elle a remis en cause la stabilité de nos chaînes d’approvisionnement, notamment énergétique et alimentaire. Alors que l’Ukraine exporte massivement sa production agricole, nous nous sommes aperçus que notre capacité à nous nourrir dépendait en partie des autres. Nous étions, finalement, dans une forme de naïveté. Cet enjeu de la souveraineté alimentaire nous impose de renforcer notre modèle agricole et de répondre à la crise des vocations à laquelle il fait face. D’ici la fin de la décennie, nous aurons à remplacer un agriculteur sur deux. Mais comment attirer des jeunes alors qu’une partie des agriculteurs actuels crient, sur nos routes, leur désespoir de ne pas gagner un revenu digne ?

Cette question n’est pas nouvelle. C’était déjà celle posée par le gouvernement et la majorité présidentielle en 2018 puis en 2021 au moment du vote des lois dites Egalim. Pour autant, au moment d’ouvrir un nouveau chapitre des travaux sur les négociations commerciales qui régissent le monde agricole, il nous paraît important de mesurer le travail déjà accompli avec les acteurs du secteur.

A l’issue des Etats généraux de l’alimentation en 2018, l’objectif poursuivi par la loi Egalim était clair : mettre en place des outils concrets pour permettre un nécessaire partage de la valeur. A l’amont, ces lois devaient permettre d’inverser la construction du prix en attribuant l’initiative de sa détermination aux agriculteurs, à partir de leurs coûts de production. A l’aval, elles devaient instaurer un cadre aux relations commerciales entre industriels et distributeurs, là aussi pour s’assurer qu’un juste prix soit payé aux différents maillons de la chaîne. En 2021, le constat a été fait que l’objectif n’était pas totalement atteint. La loi Egalim 2 a alors acté la sanctuarisation de la matière première agricole, accompagnée d’un mécanisme de révision automatique des prix afin de mieux prendre en compte les évolutions liées aux coûts de production et aux fluctuations du marché.

Aujourd’hui, lorsque l’on questionne les acteurs du monde agro-alimentaire, chacun tombe d’accord pour saluer l’ambition d’Egalim et reconnaître son caractère essentiel. Retourner en arrière serait une erreur qui condamnerait nos agriculteurs, détruirait notre appareil productif et à terme impacterait notre capacité à nous nourrir sainement et en quantité suffisante.

Pourtant, les acteurs partagent également le constat que les lois Egalim sont aujourd’hui insuffisamment appliquées, voire applicables. Alors qu’est ce qui enraille le mécanisme ? Nous constatons, déjà, que sur la question de la sanctuarisation de la matière première agricole, il y a aujourd’hui une réticence des agriculteurs – notamment des éleveurs – à formaliser la relation contractuelle par un écrit. Dans un contexte d’une demande généralisée de simplification, cette question essentielle de la contractualisation sera au cœur de nos travaux. Il en est de même du mécanisme de révision automatique du prix, dont les clauses sont aujourd’hui difficilement applicables.

Au-delà, la question du revenu de ceux qui nous nourrissent est intimement liée aux habitudes des consommateurs. C’est en privilégiant une alimentation saine, de qualité et durable que nous donnerons les moyens à notre agriculture de se développer et de réussir sa transition agroécologique. Cela suppose, néanmoins, que les consommateurs soient correctement informés de l’origine des produits. Ce travail sur l’origine et la traçabilité des matières premières qui le composent est une des solutions pour soutenir notre agriculture et consommer des produits de qualité.

Face à ces questions et à ces nécessaires évolutions, le gouvernement continue de s’engager. Au cours des quatre prochains mois, nous aurons pour mission de rencontrer l’ensemble de la chaîne – des producteurs aux consommateurs – pour cerner les axes d’amélioration des dispositifs Egalim. Au cours de ces travaux, nous associerons toutes les bonnes volontés. Toutes les questions seront posées afin de tenter de proposer des perspectives d’évolutions structurelles qui bénéficient enfin à l’ensemble de la chaîne. Il s’agit bien d’amélioration et non de révolution. L’objectif est bien d’ajuster les dispositifs pour en garantir l’application, en intégrant toutes les parties prenantes.

Ces réflexions devront être menées sans tabou au cours des mois à venir. L’objectif initial de construire le prix à partir des besoins des producteurs reste notre priorité. Lors du Salon de l’Agriculture, nous avons vu de nombreux agriculteurs brandir des pancartes : « Fiers de vous nourrir ».. Cela sera notre fierté à nous que de mettre en place un système de négociations commerciales qui leur permette enfin de vivre dignement tout en garantissant le développement de notre tissu industriel et une alimentation saine pour chacune et chacun d’entre nous. C’est l’engagement qui sera le nôtre lors de notre mission. 

78 K2_VIEWS