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Ecophyto, le plan qui fait débat

Mis en place en 2008, le premier plan « Ecophyto » n’a eu de cesse de voir ses ambitions réduites d’année en année. Décrié par les agriculteurs qui sont parfois sans solution face aux nuisibles, la récente crise agricole vient de le remettre sur le devant de la scène. Le gouvernement a choisi de marquer une « pause », plusieurs ONG dénoncent ce choix qui serait préjudiciable pour la santé.

“Nourrir et prendre soin”. C’est en ces termes que débute le rapport parlementaire du député PS Dominique Potier daté de décembre dernier sur la question des produits phytosanitaires et sur la difficulté de mettre en place les objectifs de réduction de leur utilisation. « Nourrir et prendre soin » c’est bien l’ambivalence du débat du moment. Comment assurer notre souveraineté alimentaire tout en prenant soin de notre santé et, par là même, de celle de l’eau, de l’air, du sol et de la biodiversité. « Prendre soin de notre terre afin qu’elle demeure nourricière ».

Protéger les cultures ne date évidemment pas d’hier mais jusqu’au milieu du 20ème siècle, les produits utilisés étaient fabriqués ou obtenus naturellement. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, pour lutter contre les bioagresseurs, sont apparus des produits chimiques, dits de synthèse. L’objectif étant d’assurer de plus grands rendements. Puis est venu le temps des inquiétudes avec les effets indésirables liés aux excès de pesticides. Les premiers lanceurs d’alerte mettant en garde contre leurs effets sur la santé environnementale sont apparus dans les années 70. Une prise de conscience était née.

Le plan Ecophyto est né du Grenelle de l’environnement. Il a été présenté en conseil des ministres du 10 septembre 2008 avec un objectif de réduction des usages et des risques des produits phytopharmaceutiques de 50 % à l’horizon 2018, « si possible ». Un « si possible » ajouté à l’époque par le Président de la République qui a « introduit une ambiguïté qui demeure aujourd’hui » regrette le député Potier. Le plan Ecophyto sera suivi de plusieurs autres importantes mesures comme l’interdiction des produits phytopharmaceutiques dans les jardins et espaces publics, la création de nouveaux outils (GIEE, CEPP, biocontrôle) et le lancement de programmes de recherche. « Dans le même esprit, est actée la décision de confier à l’Anses l’autorisation de mise sur le marché des produits, inscrite à l’article L. 1313-1 du code de la santé publique, ainsi que le déploiement d’une innovation majeure : la phytopharmacovigilance » poursuit le député socialiste.

En 2023, la Première ministre a relancé le débat et en promouvant une stratégie « Ecophyto 2030 », dans la dynamique de la planification écologique, avec un objectif de réduction de 50 % de leur utilisation … d’ici à 2030, soit un décalage de 12 années. La stratégie imaginée par la Première ministre entend aussi développer la recherche pour trouver des solutions alternatives avec une budget dédié de « 250 millions d’euros ».

Dans la foulée de la fronde menée par les agriculteurs, le gouvernement a souhaité mettre « en pause » le plan Ecophyto avant de rétropédaler et d’assurer que les objectifs de 2030 étaient maintenus.

Après avoir longuement hésité et laissé planer le doute quant au choix de l’indicateur qui serait retenu en vue de remplacer le Nodu (« nombre de doses unités »), qui était jusque-là le principal outil de mesure permettant de quantifier l’usage des pesticides en France, Gabriel Attal a tranché. « Je vous annonce que l’indicateur de référence pour suivre notre objectif de réduction des produits phytosanitaires ne sera plus le Nodu franco-français mais bien l’indicateur européen. C’est conforme à notre volonté d’éviter toute surtransposition. C’était la demande des agriculteurs » a déclaré le Premier ministre le 21 février dernier. Il a toutefois assuré ne pas vouloir « renoncer à l’ambition de réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030 ».

Pour rappel, calculé à partir des données de vente des distributeurs de produits phytopharmaceutiques, le Nodu correspond à un nombre de traitements « moyens » appliqués annuellement sur l’ensemble des cultures, à l’échelle nationale. Il s’affranchit des substitutions de substances actives par de nouvelles substances efficaces à plus faible dose puisque, pour chaque substance, la quantité appliquée est rapportée à une dose unité (DU) qui lui est propre. « Ainsi, rapporté à la surface agricole utile (SAU), le Nodu permet de déterminer le nombre moyen de traitements par hectare » décrit le site du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mais pour les agriculteurs exaspérés de ces excès de normes, le Nodu « ne prend en compte que les volumes utilisés, sans distinction entre les produits les plus à risques, qui s’utilisent en petites quantités, et les solutions de substitution à plus faible impact, qui s’utilisent en plus grand volume » pointe Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, le principal syndicat des agriculteurs, dans une tribune publiée par Ouest-France dimanche.

En face, lors d’une réunion de concertation qui s’était tenue au ministère mi-février, huit ONG ont choisi de claquer la porte dénonçant « un retour en arrière ». « Remettre en cause l’indicateur Nodu, c’est remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des pesticides (…) et donc l’existence même du plan Ecophyto » expliquaient-elles. A l’annonce de Gabriel Attal, ces mêmes associations ont fustigé un « tour de passe-passe » qui « va à rebours de l’Histoire ».

Gabriel Attal a donc opté pour l’indicateur européen, le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé). Il correspond à la somme des quantités de substances actives vendues en année pondérée par les coefficients de 1 à 64 liés à leur classification selon la dangerosité du produit. Ce mode de calcul ne prend plus en compte la notion de surface traitée. Mais pour les ONG, cet indicateur « ne discrimine pas assez les pesticides selon leurs niveaux de dangerosité, des produits très divers se retrouvant classés dans la même catégorie » expliquent-elles. « Avec le HRI-1, on tombe sur une réduction de près de 33 % des pesticides, tandis qu’avec le Nodu on est sur une hausse de 3 %, ce n’est pas du tout la même chose ! » a ainsi calculé l’association Générations futures qui juge que la mise en place de ce nouvel indicateur est « totalement trompeur et va présenter une image de réduction factice » des pesticides. 

Les entreprises productrices de produits phytopharmaceutiques
Les produits phytopharmaceutiques de synthèse ont été historiquement développés par des entreprises spécialisées dans la chimie qui ont développé des branches spécifiques pour la production et la commercialisation de pesticides et, plus récemment, de semences.
Aujourd’hui, quatre entreprises multinationales – Syngenta Group, Bayer, Corteva et BASF – contrôlent environ 70 % du marché mondial des pesticides (statistiques 2018).
Des regroupements et rachats intervenus entre les années 1990 et 2010 ont conduit à une concentration importante du marché.
En 2018, l’entreprise Monsanto a ainsi été rachetée par le groupe allemand Bayer qui a ensuite cédé une partie de ses activités à BASF. En 2019, deux grandes entreprises américaines, DuPont et Dow Chemical, ont fusionné pour créer Corteva Agriscience. Enfin l’entreprise suisse Syngenta a été rachetée par un groupe chinois et s’est agrandie pour former une entreprise appelée Syngenta Group. Ces mêmes entreprises représentaient, en 2018, 57 % du marché mondial des semences.
En 2018, le chiffre d’affaires du marché mondial de la protection des cultures s’élevait à 53,7 milliards de dollars soit 47,6 milliards d’euros (+ 7,6 % par rapport à 2017).
En 2019, le chiffre d’affaires des entreprises françaises de protection des plantes adhérentes à Phyteis s’élevait à 1,87 milliard d’euros et captait 96 % du marché. En 2022, il était estimé à 2,5 milliards d’euros.
En 2019, 205 millions d’euros, soit 11 % du chiffre d’affaires de ces entreprises, sont consacrés à la recherche et au développement.
Au sein de Phyteis, on trouve des filiales françaises des groupes internationaux tels que Bayer, BASF ou encore Corteva, mais également des ETI et quelques PME.
© Rapport n°2000 de la commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. 14 décembre 2023.

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