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Le Varenne agricole de l’eau, deux ans après

Par Frédéric Veau, Délégué interministériel pour le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

La météorologie de l’année 2023 pourrait préfigurer les grandes tendances climatiques que les études EXPLORE dessinent pour l’Hexagone d’ici la fin du XXIème siècle. 2023 s’est caractérisée par une sécheresse persistante sur l’arc méditerranéen. Sur le reste du territoire, une sécheresse hivernale et d’été a été suivie d’un automne et d’un début d’hiver très arrosés, au point de saturer les sols et de déclencher des inondations. Face à cette arythmie climatique, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a appelé, fin janvier 2024, à accélérer les opérations d’hydraulique agricole, que la future loi d’orientation agricole devrait faciliter.

Dès 2021/2022, l’ambition du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique a été d’intégrer cette évolution climatique. Le Varenne s’insère dans un « acquis » des politiques publiques de l’eau qui comprend les assises de l’eau de 2018/2019 et ultérieurement, le plan eau, élément de la planification écologique, présenté par le Président de la République le 30 mars 2023.

Le Varenne se décompose en trois axes, eux-mêmes déclinés en 24 mesures : la protection de l’agriculture contre les aléas climatiques, l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et enfin, l’accès à la ressource en eau.

La mise en œuvre du Varenne se poursuit selon le rythme qui avait été prévu : mi-février 2024, l’ensemble des 24 mesures a été engagé et 15 mesures sont d’ores et déjà réalisées.

S’agissant de la protection de l’agriculture, la réforme de l’assurance récolte, qui en était la principale mesure, est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Elle paraît produire ses premiers effets puisque la surface agricole utile assurée a progressé en un an d’environ un tiers (1).

En ce qui concerne l’adaptation de l’agriculture, les familles de filières finissent de se doter, avec l’appui de France AgriMer, de plans d’adaptation au changement climatique, complétés par des plans de sobriété, en application du plan eau. La recherche appliquée (INRAE, ACTA et chambre d’agriculture France) a identifié une centaine de leviers d’adaptation qui a vocation à être diffusée via des outils numériques et via l’initiative d’accompagnement des exploitations au changement climatique des chambres d’agriculture. En complément, à la demande de la délégation interministérielle pour le Varenne, le Conseil général de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Espaces Ruraux a rendu à l’automne 2023 un rapport qui identifie les principales productions agricoles résilientes au changement climatique et les conditions économiques et industrielles de leur développement. De même, en 2022 et 2023, près de 6 Me du programme national de développement agricole et rural ont été mobilisés en faveur de 16 programmes de recherche en lien avec le changement climatique. Près de 85 Me issus des fonds France 2030 ont été mobilisés pour des projets « Varenne », qu’il s’agisse de démonstrateurs territoriaux (plus de 14 Me, notamment pour la réutilisation des eaux usées traitées) ou des projets d’efficience dans l’usage de l’eau (60 Me au titre de la troisième révolution agricole).

Pour ce qui est de l’accès à la ressource en eau, le Varenne se place dans une double logique :

• Les solutions à mettre en œuvre sont fondées sur la science ;

• Il n’existe pas de solution unique sur l’ensemble du territoire, mais des gammes de solutions qui doivent s’adapter aux situations territoriales, en fonction des ressources mobilisables.

Dans ce cadre, l’ensemble des évolutions réglementaires qui étaient prévues est réalisé : décret sur les volumes prélevables hors la période basses eaux, renforcement du pouvoir d’arbitrage du préfet dans l’élaboration des programmes territoriaux de gestion des eaux ou encore réglementation sur la réutilisation des eaux usées traitées (domestique, irrigation et usages publics, industries alimentaires). Les différentes mesures liées à la connaissance sont également très avancées : l’étude EXPLORE II donnera d’ici quelques mois des trajectoires possibles territorialisées des ressources en eau à échéance fin de siècle, l’étude de méthodologie d’établissement des volumes prélevables est achevée. De même, l’inventaire national des plans d’eau de plus de 0,1 ha doit se prolonger en 2024 par la mise en place d’un portail numérique. Sur le plan opérationnel, l’expérimentation dans trois départements du sud-ouest (Gers, lot, Tarn-et-Garonne) de la remise en service d’ouvrages hydrauliques existants a donné des résultats intéressants, montrant à la fois l’intérêt de ce type de démarche mais aussi la mobilisation de moyens de conception qu’elle nécessite. Les 45 Me prévus dans le Varenne en faveur de projets d’hydraulique agricole ont été engagés dès 2022.

En complément, dès la fin 2022, à la demande du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, la délégation pour le Varenne a engagé une revue nationale des projets d’hydraulique agricole, qu’elle poursuit toujours. Celle-ci a permis de recenser en 2022, un stock de 322 projets et, en 2023, une centaine de projets nouveaux. Ils se développent principalement dans les bassins les plus directement impactés par le changement climatique : Rhône-Méditerranée, Adour-Garonne et Loire-Bretagne. Mi 2023, 52 projets avaient été réalisés, représentant environ 25 millions de m3 de stockage. Le recensement révèle une majorité de projets individuels portés par des agriculteurs (59 %) pour des volumes de stockage inférieurs à 100 000 m3. 17 % des projets sont portés par des collectivités. Les très gros projets (supérieurs à 400.000 m3) sont le fait de structures d’aménagement à forte capacité d’ingénierie technique et administrative : CACG, BRL, SCP ou encore VNF (2). Les principaux freins identifiés au développement d’une hydraulique agricole durable sont la maîtrise d’ouvrage collective ou publique des projets, les capacités d’ingénierie requises, la surface financière et, in fine, l’équilibre financier des opérations, liés à l’évolution du coût des chantiers et de l’énergie, qui se répercutent sur le coût du m3 servi à l’exploitant.

Les prochaines étapes de la mise en œuvre du Varenne concernent l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et l’accélération de l’hydraulique agricole. S’agissant de l’adaptation au changement climatique, les travaux conduits par la recherche appliquée dans le cadre de la cellule Recherche Innovation Transfert (INRAE, ACTA, Chambre d’agriculture France) ont permis de constituer une solide base de connaissance des leviers d’adaptation. Il est nécessaire d’accélérer la diffusion de cette base dans les territoires et dans les exploitations, en fournissant des matériaux concrets et directement exploitables. S’agissant de l’hydraulique agricole, la mise en place d’un fonds de soutien du ministère de l’agriculture en 2024 fournit l’occasion de relancer la dynamique en priorisant, dans la programmation, les projets démonstratifs et exemplaires à la fois sur leur mode gestion et leurs bénéficiaires, ainsi que leur impact sur la ressource en eau, quantitative et qualitative.

Au total, le Varenne agricole de l’eau constitue un dispositif de gouvernance innovant qui vise la performance de l’action publique. Il a été établi à partir d’une large concertation avec les parties prenantes volontaires, en particulier issues du monde agricole. Il a débouché sur trois priorités claires, ventilées en 24 mesures concrètes. L’animation de sa mise en œuvre a été confiée à une structure légère, la délégation interministérielle pour le Varenne, dont l’existence est fixée à 3 années. C’est probablement cette organisation qui permet de tenir la trajectoire : deux-tiers des mesures réalisées au bout de deux années sur trois. Un puissant enjeu d’accélération du déploiement concret, sur les territoires, des mesures du Varenne demeure, pour faire évoluer la réalité. C’est l’objectif de la dernière année de mission de la délégation. 

1. Selon les assureurs, la campagne de souscription 2024 paraît moins prometteuse du fait de la crise agricole et d’un niveau de sinistralité 2023 relativement faible.

2. CACG : Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne - BRL : Compagnie d’aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc - SCP : Société du Canal de Provence - VNF : Voies navigables de France.

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