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“Pour une meilleure application du droit voisin”

Par Virginie Duby-Muller, Députée (LR, Haute-Savoie),Présidente de la Mission d’information sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, des éditeurs et professionnels du secteur de la presse

La mission d’information sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse, initiée par le groupe MoDem et que j’ai eu l’honneur de présider, a présenté son rapport le 12 janvier 2022.

L’objectif de cette mission était d’évaluer la mise en œuvre de ce droit issu en Europe de l’article 15 de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (DAMUN) et en France de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Ce droit devait permettre de redistribuer les revenus que tirent les plateformes numériques de l’exploitation de contenus originaux et ainsi rééquilibrer économiquement un secteur bouleversé par le transfert massif des revenus publicitaires de la presse vers les géants du numérique. Le chiffre d’affaires de la presse a chuté de 11 à 6,2 milliards d’euros entre 2006 et 2019, la part imputable à la chute des revenus publicitaires atteint 57 %, celle liée à la baisse des ventes est de 22 %. Google et Facebook captent à eux seuls 75 % des dépenses de publicité digitale.

Avec le rapporteur, Laurent Garcia, député MoDem de Meurthe-et-Moselle, nous avons mené un long travail, marqué par l’audition d’une quarantaine d’entités, un déplacement à Bruxelles, des échanges avec les ambassades de France en Espagne et en Australie ainsi qu’avec des représentants de la presse allemande.

Nous avons pu constater que l’intention du législateur n’a pas été respectée :

• Les éditeurs et les agences de presse n’ont pas les moyens d’une coopération assainie avec les plateformes numériques compte tenu de l’opacité de leur fonctionnement ;

• Rare sont ceux à avoir perçu une rémunération au titre du droit voisin.

Pour y remédier, nous avons élaboré dix mesures concrètes :

Afin de de résorber l’asymétrie d’information, la mission d’information préconise de :

• Contraindre les plateformes numériques à communiquer leurs données pour définir l’assiette de la rémunération : il est impératif d’accéder aux données des plateformes numériques et de définir des critères d’assiette pour permettre le calcul de la rémunération.

• Se doter de l’appui technique du Pôle d’Expertise de la Régulation Numérique pour l’analyse des données : il permettra de renforcer capacités d’analyse des données pour mieux réguler les plateformes du numérique. Le PEReN pourra apporter son expertise à l’Autorité de la concurrence dans le cadre des litiges en cours et, à l’avenir, à l’autorité d’arbitrage qui sera désignée par le législateur.

Rendre intégralement publics les accords : l’enjeu du pluralisme de la presse est important, les accords pourraient avoir des répercussions sur l’ampleur du soutien public à la presse et sur la redistribution de ces revenus aux journalistes.

Pour remédier à l’asymétrie de négociation, la mission recommande d’ :

• Inciter tous les éditeurs et agences de presse à rejoindre la Société du droit voisin : cet organisme de gestion collective permettra d’obtenir un meilleur rapport de force avec les tiers et une équité de traitement entre bénéficiaires, à condition que la majorité de la presse y adhère.

• Intégrer la SACEM et le CFC à la Société du droit voisin

• Mieux identifier les redevables du droit voisin, ce qui sera une des missions de la Société du droit voisin. Il faudra notamment clarifier la situation des entreprises de veille media et les crawlers.

• Recourir à l’arbitrage d’une autorité administrative indépendante : la modification de la loi est nécessaire pour confier à une autorité administrative indépendante (l’ARCOM, dont les pouvoirs de régulation des plateformes numériques ont récemment été étendus) un rôle d’arbitrage en cas d’échec des négociations dans un délai à définir. Il faudra la doter d’un pouvoir d’injonction et de sanction. Elle pourra fixer un taux de rémunération en proportion des revenus directs et indirects dont profite le redevable, des investissements consentis par le bénéficiaire et de la contribution de son contenu à l’information politique générale.

• Veiller à la rémunération des journalistes : la négociation avec les journalistes doit être menée en parallèle des négociations avec les plateformes, et aboutir à des accords de branche.

• Mettre à profit la présidence française du conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022 :

En créant une dynamique pour une mise en œuvre européenne de la directive : il est urgent que les États membres transposent l’article 15 de la directive de 2019. La commission européenne aura à se prononcer en 2022. Un échange d’information et d’expérience entre pays européens sera probablement nécessaire pour adopter une stratégie commune de mise en œuvre du droit voisin.

• Se saisissant des projets de règlements européens Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) : l’ambition de ces projets de règlements est de rééquilibrer les relations entre les producteurs de contenus et les distributeurs en ligne. Il faut imposer aux plateformes des obligations de transparence et d’information à l’égard des éditeurs. Cela doit passer par une plus grande responsabilité des gatekeepers et notamment le partage d’informations avec les utilisateurs dépendants de leurs services.

Ces propositions – adoptées à l’unanimité par les membres de la missions d’information, tout comme le rapport - sont le fruit d’un travail transpartisan constructif dont je me félicite. Car ne nous y trompons pas : la bonne application constitue un enjeu majeur pour notre démocratie.

Le droit voisin est un droit : il n’est ni le résultat d’un accord commercial, ni une faveur rendue à un secteur en souffrance}. La rémunération des contenus utilisés doit être à la hauteur du travail des auteurs et des investissements des entreprises de presse.

En protégeant les journalistes et les entreprises de presse, le droit voisin protège le travail journalistique pour garantir une presse libre, indépendante et pluraliste. Il doit donc être mieux appliqué.